D’après le Journal du dimanche du 22 janvier, l’Élysée envisagerait de nommer Philippe Courroye à un poste sur mesure « d’ambassadeur en charge de la lutte contre le blanchiment ». Une manière bien efficace de sauver ce procureur mis en examen pour « collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite » et « violation du secret des correspondances », dans l’affaire Bettencourt.Mais qu’est-il arrivé à Philippe Courroye, lui-même juge d’instruction dans les années 1990 ? À cette époque, bien loin de militer pour la dépénalisation des affaires financières, il avait réussi à faire condamner des pointures du RPR comme Alain Carignon, Michel Noir et, plus tard, Charles Pasqua, dans l’affaire de l’Angolagate. On ne pouvait alors le soupçonner de collusion avec le pouvoir.
Mais en 2007, le ministre de la Justice de Chirac nomme le juge Courroye procureur de Nanterre, et ce malgré l’opposition du Conseil supérieur de la magistrature dont l’avis est nécessaire pour ce type de nomination. Le ministre passe outre et Courroye prend alors ce poste dans le tribunal qui instruit toutes les affaires dont dépend la ville de Neuilly et ses environs. Un hasard ?
Une opportunité surtout, au moment où Chirac va perdre son immunité et va devoir affronter plusieurs procès. Un bon investissement depuis, puisque le procureur requiert le non-lieu sur les emplois fictifs de la ville de Paris et classe sans suite l’enquête préliminaire concernant l’achat de l’appartement de Nicolas Sarkozy à Neuilly-sur-Seine.
Mais c’est dans l’affaire Bettencourt que Courroye a montré au grand jour son pouvoir de nuisance. Dans l’organisation actuelle de la justice, pour qu’un procès ait lieu, il faut que le procureur ouvre une instruction. Et lorsque pour la première fois une plainte est déposée, en 2007, Courroye décide de mener une enquête préliminaire à l’issue de laquelle, il décidera ou non de confier l’affaire à un juge. Au bout de deux ans, et après deux autres plaintes qui donnent elles aussi lieu à l’ouverture d’enquête préliminaire, Courroye ne saisit toujours pas le juge. Il faudra que l’avocat de la fille Bettencourt ait recours à la procédure assez rare de citation directe, pour contourner cette volonté de blocage.
Dès lors, la juge Presvot-Desprez est saisie de l’affaire. Elle demande au procureur qu’il lui transmette les pièces. Et notamment les enregistrements du majordome de Liliane Bettencourt qui mettent en cause le ministre des Finances Éric Wœrth mais également Valérie Pécresse ou Nicolas Sarkozy qui auraient bénéficié des largesses de l’héritière quelque peu sénile pour mener leurs campagnes.
Courroye ne peut évidemment accepter. Et c’est à la juge qu’il s’en prend, tentant de la faire dessaisir et demandant même une sanction disciplinaire. Le motif ? Elle a remis en cause son autorité.
La cour d’appel ne le suit pas et donne raison à Prévost-Desprez. Cela n’empêche toujours pas Courroye de retenir les informations. Il faut dire que sa proximité du pouvoir est avérée et même revendiquée. Le 24 avril 2009, le président de la République a remis à son ami l’ordre national du Mérite. Par ailleurs, il ne se cache pas de recevoir à sa table un certain Sarkozy accompagné de sa femme Carla Bruni. « Je mange avec qui je veux » répond l’incorruptible procureur.
Cette affaire est emblématique de la « République exemplaire » selon Sarkozy. Une clique de coquins qui n’hésitent pas à s’entraider sur le dos de la justice.
Une justice qu’ils veulent exemplaire lorsqu’il s’agit de condamner un jeune qui a lancé une pierre mais qui sait aussi regarder ailleurs quand un de leurs amis est mis en cause.
Malgré tout, le pouvoir doit affronter un grand nombre de magistrats qui entendent poursuivre leur travail, comme tous ceux qui, en janvier 2010, ont bruyamment quitté la salle où le procureur de Nanterre leur adressait ses vœux.
Dominique Angelini