Malgré la Coupe du monde de football, les mobilisations font enfin la Une de l’actualité. Certes, le plus souvent pour désigner les grévistes comme des nantis et des preneurs d’otages, mais la réalité est là : avec la grève des cheminotEs et celle des artistes et technicienEs, les luttes collectives réoccupent le haut du pavé.
Parce que ces luttes sont visibles, incontournables, qu’elles bloquent, arrêtent, empêchent... elles parviennent à briser le silence qui étouffe tant d’autres résistances. Elles changent l’air du temps. Sur le fond, elles s’opposent frontalement à la politique menée par ce gouvernement PS-Medef. Les premiers refusent la réforme ferroviaire qui organise le dépeçage de la SNCF pour mieux privatiser les activités rentables dans la droite ligne des politiques libérales imposées partout en Europe. Les seconds ne veulent pas voir ratifier l’accord du 22 mars sur l’assurance chômage qui, sous prétexte d’alignement, détruit purement et simplement le statut des intermittentEs et fragilise plus encore les précaires et les intérimaires. Dans les deux cas, la destruction des services publics et de la protection sociale, qui sont au cœur des politiques austéritaires, sont contestées. Elles et ils se défendent face au rouleau compresseur qui détruit leurs conditions de travail et de vie, mais en même temps défendent une autre idée du service public pour répondre aux besoins des usagerEs, une autre idée de la culture qui ne doit être ni un privilège ni une marchandise.
Des luttes pour gagner !Autre point commun, la volonté de gagner, pas de négocier un moindre mal ou des contre-parties : les cheminotEs veulent le retrait de la réforme, les intermittentEs exigent du ministre qu’il n’agrée pas l’accord signé entre le Medef, la CFDT et FO. Pour gagner, pour faire céder le gouvernement et le patronat, il faut un rapport de forces et celui-ci ne s’établit pas avec une journée d’action de temps en temps : il se construit, se prépare, il a besoin de démocratie, d’auto-organisation. À la SNCF, la grève est reconductible, massive, unitaire, radicale, débattue dans les assemblées générales. Ce sont aussi des assemblées générales qui prennent la douloureuse décision de faire annuler les festivals les uns après les autres, au risque pour les grévistes de se retrouver au RSA. Elles et ils ont contre eux les syndicats « partenaires », ceux qui pensent qu’ils savent mieux que les premiers concernéEs ce qui est bon pour eux, ceux qui prétendent parler au nom des salariéEs dans un tête-à-tête quasi permanent avec le Medef ou la direction de la SNCF.
Plus ferme avec les grévistes qu’avec la finance...Ces grèves nationales, ainsi que d’autres plus partielles comme à La Poste, agissent comme un révélateur. Hollande qui n’a raté aucune occasion de reculer, sur la PMA devant les réacs de la « manif pour tous », sur le droit de vote pour les étrangers, devant les patrons grands et petits... fait aujourd’hui la leçon aux grévistes. Il choisit la principauté d’Andorre, principauté sans droit de grève où il a été reçu en « co-prince » (!), pour assener : « Il y a un moment où il faut savoir arrêter un mouvement et être conscient des intérêts de tous »... Aussitôt, Manuel Valls a renchéri sans surprise : « Il n’y a aucune raison que la grève continue ». Mais il a été obligé de dire plus dans son allocution devant le conseil national du Parti socialiste samedi 14 juin : « Il nous faut tenir. Tenir. Y compris face à la radicalité de certains mouvements sociaux ». Car aujourd’hui, ce n’est pas la pression de la droite ou de l’extrême droite qui s’exerce sur ce gouvernement complètement discrédité, mais celle de mouvements sociaux déterminés. Elle oblige députés, partis, courants et sous-courants à se positionner par rapport à leurs revendications, et pose sans échappatoire possible la question : soit soutenir le gouvernement et s’opposer aux grévistes, soit soutenir les grévistes et s’opposer au gouvernement. La gauche sociale, syndicale, associative, et politique (Front de gauche, NPA, LO, AL...) doit parler d’une même voix pour dire, avec conviction, sa solidarité avec les grévistes. Et, dans la continuité de la manifestation du 12 avril, au-delà des débats publics comme ceux du 21 juin qui sont utiles, nous pouvons planter dans le décor la perspective d’une mobilisation d’ensemble nécessaire, combinant manifestations, grèves et occupations de places...
Christine Poupin