Entretien. Depuis le 29 août, le personnel du Centre hospitalier du Rouvray, « hôpital de référence » pour la psychiatrie en Seine-Maritime, est en grève reconductible contre les « effectifs cibles », un projet visant à ponctionner des agents dans les services pour constituer une équipe de remplacement afin de combler ponctuellement les manques de personnel... La lutte est animée par le syndicat CGT et un collectif de jeunes soignantEs non syndiqués. Nous avons interviewé Bruno, membre de la direction de la CGT, et Clément, membre du collectif soignant.
Comment a débuté votre action ?
Bruno : Le syndicat CGT a été interpellé par des collègues infirmiers, infirmières, aides-soignants par rapport à la mise en place du pôle de remplacement et des « effectifs cibles ». Ce pôle de remplacement sera composé d’agents retirés des services. Il ne s’agit pas d’embauche statutaire mais de redéploiement de personnel, qui sera retiré de services déjà en souffrance en raison de la charge de travail et du manque de personnel.
Clément : Dans la majorité des cas, cela va être imposé à des jeunes diplômés qui sont encore en contrat à durée déterminée et qui n’ont pas forcément le choix. On est déjà dans une souffrance dans les unités, à cause d’un manque évident de personnel qui a un impact sur la prise en charge des patients. La solution que l’administration nous a proposée tend à nous rendre encore plus précaires. Cette inquiétude s’est exprimée au sein d’une assemblée générale menée par la CGT. Nous avons décidé de constituer un pôle qui ne soit pas nécessairement syndiqué parce qu’on peut être sensibilisé par rapport à la vie et aux conditions de travail, dans l’hôpital, sans forcément être syndiqué.
Quels sont les buts de ce collectif soignant ?
Clément : On y parle de notre travail au quotidien, dont les conditions ne sont pas évidentes, mais sont maintenues par abnégation professionnelle, parfois par sacrifice de notre temps personnel. Cela peut créer des souffrances et mener à des « burn out ». Ces derniers temps, il y a eu des suicides d’infirmiers dans de nombreux hôpitaux de France. Nous sommes une profession qui est en souffrance, qui a du mal à se faire entendre dans la mesure où l’on a une obligation légale de prise en charge du patient.
Comment menez-vous votre action ?
Bruno : D’abord sensibiliser, dans la mesure où il y a encore des gens dans le doute. Mais ce qui nous rassure, c’est que l’on voit aux AG ou sur le piquet de grève beaucoup de jeunes. Les effectifs de l’hôpital se sont considérablement rajeunis et la direction commence à voir que les gens ne sont pas décidés à se laisser faire. Toutes les décisions sont prises en assemblée générale. Nous organisons des piquets de grève, des distribution de tracts. Nous en sommes à notre deuxième action de barrage filtrant à l’entrée de l’hôpital. Quant aux patients, ils ne passent plus par le service d’accueil et d’urgence, et sont directement dirigés vers leurs secteurs géographiques.
Clément : Nous avons reçu le soutien d’élus locaux et départementaux et d’autres centres hospitaliers, ce qui nous donne une légitimité pour la défense de nos revendications.
Bruno : Certains médecins envisagent de nous rejoindre pour intervenir auprès de la direction en supportant notre plateforme revendicative. Certains sont critiques par rapport à nos modalités d’action, avec le transfert direct des malades dans les services qui est une charge de travail supplémentaire.
Clément : Comme le dit Bruno, il y a une génération de jeunes soignants qui n’ont pas une habitude de revendications et d’actions de cette ampleur. Cela nécessite un temps de mise en place, mais globalement, ce qu’on en retire est quelque chose de très favorable, et on peut même se dire qu’on est en train de se battre pour le maintien de la psychiatrie en tant que spécificité médicale que certains tentent de détruire.
Propos recueillis le samedi 3 septembre par Jean-Claude Delavigne