Le mercredi 26 février, Olivier Veran, nouveau ministre de la Santé, fanfaronnait : « Il n’y a pas d’épidémie en France, nous faisons toujours face à des cas de patients isolés ». Le lendemain matin, Macron, lors d'une visite, non programmée aux personnels de la Pitié-Salpêtrière, déclarait : « On a devant nous une crise, une épidémie qui arrive. Cela suppose de s'organiser et de l'affronter au mieux, avec la vie qui continue… ».
Entre ces deux épisodes, le décès d'un patient et l'extension brutale du nombre de personnes touchées dans l'Oise avaient infirmé les propos du ministre. En une nuit, c'est un revirement à 180° qu'a effectué le pouvoir, avec en toile de fond une nouvelle stratégie : faire endosser à Macron le costume de chef de guerre contre le virus et de rassembleur de la nation dans ce combat. Par ce coup politique, l'exécutif a voulu reprendre la main dans une crise politique et sociale qui s'enlisait depuis des semaines avec la mobilisation contre la réforme des retraites, puis le débat parlementaire. Macron a convoqué, dans la foulée, le samedi 29 février, un « Conseil de défense » suivi d'un Conseil des ministres. Ce dernier annonçait « en même temps » un nouveau plan de lutte contre l'épidémie et la décision de faire passer en force la réforme des retraites par l'utilisation du 49-3. Une semaine plus tard, le chef de l'exécutif est contraint de constater la progression « inexorable » de la maladie. Loin des affirmations péremptoires assurant que « la France est prête » il ne fait que souligner l'impuissance d'un pouvoir confronté brutalement à l'effet boomerang des contre réformes de santé libérales menées depuis des années.
Du « stade 1 » au « stade 3 » : l'aveu d'un hôpital public et d'une système de santé débordés.
Dans la nomenclature officielle, le « stade 1 » d'une épidémie doit permettre de freiner l'introduction de la maladie sur le territoire. Il s'agit de détecter rapidement les personnes contaminées venant de zones « à risque », ainsi que de celles qui ont été en contact avec elles, de les confiner le temps nécessaire en leur assurant des soins adaptés Le « stade 2 », cherche à limiter la propagation de la maladie, déjà installée. Le « stade 3 » est atteint quand, le virus circulant dans tout le pays, il s'agit de différer et de contenir son extension et de protéger les populations les plus vulnérables.
L'arrivée d'une nouvelle épidémie, dont les caractéristiques sont encore mal connues, prend nécessairement au dépourvu le système de santé et le sollicite de manière exceptionnelle. Mais le rôle d'un service public est justement d'avoir des capacités pour faire face à l'inhabituel.
La crise du coronavirus renvoie au pouvoir les effets de sa politique et de celle de ses prédécesseurs. Du fait des politiques d'austérité budgétaire, de l'introduction d'un management d'entreprise, du choix de centrer le système de santé sur la médecine libérale de ville, l'hôpital répond désormais difficilement aux situations habituelles. Il le fait uniquement par l'engagement débouchant aujourd'hui sur l'épuisement de ses professionnels. C'est ce que dénoncent depuis des mois les services d'urgences et les hôpitaux en lutte. Les urgences sont saturées, les lits et le personnel manquent dans tous les services. Les personnels sont à bout. Comment serait-il dans ces conditions possible de faire face à une crise sanitaire exceptionnelle ?
Comme un gamin pris en faute dans une cour de récréation, Macron s'est justifié en disant que ce n'était pas sa faute.... mais celle de ses petits camarades des gouvernements précédents.
Cela n'atténue en rien sa propre responsabilité, puisque depuis son arrivée au pouvoir, lui et les siens n'ont fait qu'aggraver la situation. ils ont poursuivi les « économies » sur les dépenses d'assurance maladie et en particulier les dépenses hospitalières, accéléré, avec la loi Buzyn, les fermetures de services des petits hôpitaux et les restructurations, et refusé de répondre aux revendications des personnels en grève en termes d'ouvertures ou de réouverture de lits, d'augmentation des effectifs, de hausse des salaires.
Au nom du fait que 80% des cas seraient bénins, la réponse du pouvoir, avec le passage au stade 2 et très prochainement au stade 3, consiste à renvoyer la responsabilité de l'essentiel du dépistage et des soins vers la médecine de ville. L'hôpital ne prendrait en charge que les cas les plus graves. Ce choix reçoit malheureusement le soutien de certains médecins hospitaliers soucieux, avant tout, de préserver leur service.
« Approche approximative »
Cette « réponse » n'en est pourtant pas une, car la médecine libérale de ville n'a pas les moyens de remplir cette mission. Pour dépister la gravité des cas, encore faut-il les avoir rencontrés et testés, et on voit mal comment les médecins généralistes pourraient s'acquitter de cette tâche. Les personnes potentiellement contaminées ont (à juste titre) pour consignes de contacter le SAMU et de ne pas se rendre chez leur médecin. Les syndicats de médecins libéraux ont souligné qu'ils ne disposaient pas actuellement du matériel minimum (masques fiables). Quant à l'utilisation de la télémédecine, c'est avant tout un gadget de communication gouvernementale. Comme l'a fait remarquer le président du principal syndicat de généralistes, MG France, faute d'un diagnostic fait en présence du malade, « cette approche approximative fait courir un risque au patient car on peut passer à côté d’une infection pulmonaire ».
La mission est d'autant plus impossible que la médecine de ville libérale, elle aussi en crise et dans l'incapacité de faire face à l'énorme surcroit de travail que représente le dépistage et le traitement des patients touchés par le Coronavirus.
Selon les estimations, 5 millions de personnes vivent dans un « désert médical », où il est déjà en temps normal très difficile d'avoir accès rapide à un médecin généraliste. Avec l'extension de l'épidémie de grandes parties du territoire, en commençant par les secteurs ou résident les populations socialement les plus défavorisées (départements ruraux, petites villes et banlieues), les cabinets libéraux vont être totalement débordés, sans oublier que le recours à médecine de ville nécessite l'avance des frais et n'est que partiellement remboursée.
Le « plan de lutte » du pouvoir est d'abord un aveu d'impuissance qui se double d'une logique de tri des patientEs et d’une médecine à deux vitesses. CertainEs auront plus de chance d'être dépistés et soignés dans de bonnes conditions, et tant pis pour les autres. Et ce sont bien sûr les personnes les plus précarisées (dont les migrantEs, les exiléEs et les personnes sans abri) qui seront les plus exclus du dépistage et des soins, et donc les premières victimes.
La difficulté de s'opposer à l'épidémie, en raison de l'absence de vaccins et de traitement, n'est pas non plus le résultat de la fatalité. Elle trouve notamment son origine dans le temps perdu. Au lendemain de l'épidémie de SRAS, il y a 20 ans, les moyens mis dans la recherche ont été considérablement restreints, et c'est dans l'urgence, quand le mal est là, que les scientifiques sont sommés de faire des miracles, qu'ils et elles ne peuvent évidemment réaliser. Là encore, on mesure les effets de la logique de la course à la rentabilité immédiate
Militariser la société ou agir avec la population ?
En l'absence de vaccin et, pour l'instant, de traitement efficace, les seules mesures susceptibles de freiner l'épidémie sont l’information diffusée rapidement à l’ensemble de la population, les mesures barrières (masque, lavage des mains), l’isolement des malades, leur transport direct vers les services spécialisés, le suivi rapproché des personnes qui ont été en contact avec les malades pendant au moins les 7-14 jours de l’incubation, la protection stricte des professionnelEs de santé concernés.
Elles impliquent des mesures de restriction de circulation, de confinement, de limitation d'activités (travail, loisir, vie sociale) susceptibles de favoriser la progression du virus. L'exemple du rassemblement évangéliste de Mulhouse, qui a provoqué une brusque diffusion de la maladie, en montre la nécessité.
Mais, pour être efficaces, de telles mesures doivent être prises dans une perspective de mobilisation active, de prise en charge par la population elle-même de sa protection. C'est à leur façon ce qu'exigent les salariéEs qui, au Louvre ou dans les transports, ont fait valoir leur « droit de retrait ».
Si l'avis d’« experts » est indispensable dans la lutte contre le coronavirus, le contrôle de la validité et de l'efficacité des mesures prises, la possibilité d'en débattre ne l'est pas moins. C'est aussi le meilleur moyen d'éviter que la recherche légitime de protection ne se transforme en panique et quête irrationnelle de boucs émissaire qu'exploitent, sans vergogne, la droite et l'extrême droite.
Telle n'est pas la voie suivie par le pouvoir, pour qui les « premiers de cordée », ceux qui savent, prennent des décisions, que le peuple ignorant doit ensuite docilement appliquer, au nom de « l'unité nationale », aboutissant à une forme de militarisation de la société.
Le contrôle et la vigilance de la population (avec ses organisations associatives, syndicales...) sont d'autant plus de mise qu'il est indispensable de vérifier si les mesures prises sont justifiées par la lutte contre l'épidémie ou ne relèvent pas d'autres buts moins avouables, comme celui de restreindre les libertés démocratiques, d'empêcher toute forme de contestation et de mobilisation sociale, ou de faire tourner à tout prix la machine économique dans l'intérêt des possédants.
La posture de chef de guerre contre le virus que tente de se construire Macron est toutefois à hauts risques pour lui. Dans une situation marquée par l'extension de l'épidémie, l'improvisation continuelle du pouvoir, la difficulté à faire face d'un système de santé affaibli, ne peuvent être masquées par les déclarations péremptoires. Le « généralissime » peut vite tomber de son piédestal, provoquant un nouveau rebondissement de la crise politique.