Publié le Vendredi 19 février 2021 à 15h30.

Face à la pandémie, un an de faillite des gouvernements et des institutions capitalistes

Cela fait désormais plus d’un an que la crise liée à la pandémie de Covid-19 s’étend aux quatre coins de la planète. Un an de gestion catastrophique par les classes dominantes, face à laquelle il est plus que jamais temps d’opposer la perspective d’un autre monde.

Le 23 janvier 2020, les autorités chinoises plaçaient en totale quarantaine les 11 millions d’habitantEs de la ville de Wuhan, confinaient toute la province du Hubei (60 millions d’habitantEs) et annonçaient la création de plusieurs hôpitaux en une dizaine de jours. Certains ironisaient alors sur la gestion de crise « à la chinoise », tandis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), réunie en urgence ce même 23 janvier, décidait, au vu des informations disponibles, de ne pas considérer le nouveau coronavirus apparu en Chine comme une « urgence de santé publique de portée internationale ». « Le chaînon manquant pour décréter une telle urgence, c’est un cas de transmission d’homme à homme dans un pays qui ne serait pas la Chine », expliquait alors Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève1.

« Les risques de cas secondaires autour d’un cas importé sont très faibles, et les risques de propagation du virus dans la population sont très faibles », déclarait quant à elle la ministre de la Santé Agnès Buzyn, le 24 janvier. Trois jours plus tôt, elle se voulait déjà rassurante : « Notre système de santé est bien préparé, les établissements de santé ont été informés et des recommandations de prise en charge ont été délivrées ». Le 21 janvier également, un certain Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée Infection, expliquait : « Le monde est devenu complètement fou. Il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle, on en parle à la télévision et à la radio ».

Impréparation et mensonges

Il ne s’agit évidemment pas de faire ici le procès, facile au vu des développements de l’épidémie depuis un an, de ceux qui ont pu relativiser le danger et l’ampleur de la crise à venir, et ce rappel ne vise évidemment pas à laisser entendre que nous serions de ceux qui avaient « tout » anticipé. Force est toutefois de constater que le retard à l’allumage global face à la pandémie de Covid-19 apparait a posteriori comme une forme de « péché originel » de la gestion de la crise par la plupart des institutions et des gouvernements capitalistes. Et le moins que l’on puisse dire est que nous sommes bien placés, en France, pour le savoir, avec un président de la République qui, en l’espace de 10 jours en mars 2020, est passé de l’injonction rassurante, en mettant en scène sa propre sortie au théâtre (« La vie continue, il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie » — 6 mars) à la posture martiale et guerrière (« Après avoir consulté, écouté les experts, le terrain et en conscience, j’ai décidé de renforcer encore les mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire. » — 16 mars). Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres à l’échelle internationale…

Incapables de reconnaître leurs erreurs, nos gouvernants se sont enfoncés dans le déni, voire le mensonge. On pense ici entre autres aux désormais fameuses déclarations de Sibeth N’Diaye, alors porte-parole du gouvernement, sur C-News le 23 mars : « Je crois qu’on ne peut pas dire qu’il y a eu un défaut d’anticipation de cette crise, bien au contraire. » La même Sibeth N’Diaye expliquait pourtant sur France Inter, le 4 mars, soit deux semaines avant le confinement total : « On ne va pas fermer toutes les écoles de France. C’est comme quand il y a une épidémie de grippe en France, on ne ferme pas toutes les écoles ». On pense également aux mensonges répétés sur les masques, au sujet desquels la « doctrine » du gouvernement français n’a évolué que dans le but de dissimuler la pénurie, mais aussi aux mensonges des autorités italiennes ou chinoises sur le nombre de morts, sans même parler, dans un autre registre, des dangereuses âneries de Donald Trump (qui qualifiait par exemple, en février 2020, la pandémie de Covid-19 de « canular » des Démocrates), de Boris Johnson ou de Jaïr Bolsonaro.

Au-delà des différences de stratégies et de positionnement, le point commun entre les divers gouvernements et institutions capitalistes dans leur gestion de la pandémie est leur refus obstiné de considérer la nécessité de prendre le mal à la racine. Et pour cause ! Car de manière globale, la crise du coronavirus a joué un rôle de révélateur : des conséquences dramatiques de l’austérité sur les systèmes de santé ; des catastrophes que peut générer le développement sans limite de l’agro-business, pour lequel le profit prime tout, y compris la vie, la nôtre et celle de la planète ; des dangers inhérents à l’économie capitaliste, contradictoire dans son essence même avec la planification de la production et son orientation vers les besoins de touTEs, pas les profits de quelques-uns ; de l’irresponsabilité de nos gouvernants qui, après avoir détruit l’hôpital public, ont pris, autoritairement, des mesures contradictoires et inefficaces, obsédés qu’ils sont par la sauvegarde du système économique, au mépris de la santé du plus grand nombre.

Réorganisation des relations sociales

Pour le dire autrement, une véritable politique de lutte contre la pandémie impliquerait de prendre des mesures radicalement contradictoires avec la logique du profit capitaliste, et d’aller exactement à l’inverse de ce qui s’est fait durant des dizaines d’années de néolibéralisme débridé. La naissance même du virus et son développement initial résultent, à bien des égards, du fonctionnement du système capitaliste, comme le rappelle le géographe marxiste suédois Andreas Malm : « Il est pour ainsi dire logique que de nouvelles maladies étranges surgissent du monde sauvage : c’est précisément au-delà du territoire des humains que résident des pathogènes inconnus. Mais ce monde pourrait être laissé tranquille. Si l’économie actionnée par les humains ne passait pas son temps à l’assaillir, à l’envahir, à l’entailler, à la couper en morceaux, à le détruire avec un zèle frisant la fureur exterminatrice, ces choses n’auraient pas lieu. Bien à l’abri parmi leurs hôtes naturels, les agents pathogènes n’auraient pas à bondir vers nous2. »

Ainsi, si Macron et ses semblables se sont illustrés par une gestion calamiteuse de la crise, ce n’est pas – seulement – par incompétence, mais aussi en raison de ce qu’est leur vision du monde, de l’économie, des rapports sociaux, de la politique. Dans l’imaginaire étroit de ces adeptes béats de l’économie de marché, il ne faut en effet prendre aucune décision qui pourrait un tant soit peu remettre en cause durablement la logique capitaliste. On préfèrera ainsi dépenser des dizaines de milliards d’euros d’argent public pour maintenir à flot des grands groupes plutôt que de les faire passer sous contrôle public ; on refusera de plafonner réellement le prix des masques – sans même parler de les rendre gratuits – en avançant l’argument selon lequel « il ne faut pas freiner l’innovation » ; on promettra des primes plutôt que d’augmenter les salaires, on fera appel au bénévolat plutôt que d’embaucher massivement dans les services publics, en premier lieu dans les hôpitaux.

Pour les classes dominantes, loin d’être l’occasion d’une improbable remise en question, la crise du Covid est au contraire une opportunité pour pousser à une réorganisation des relations sociales à laquelle aucun domaine de la vie ne devrait échapper, à la condition que les principes fondamentaux du capitalisme soient respectés et que le domaine du marché soit en extension. Nous devons prendre au sérieux la bourgeoisie et ne pas considérer que sa gestion chaotique, voire catastrophique, de la crise, serait liée à un déficit chronique de vision ou de stratégie. Elle est au contraire l’expression d’une vision du monde, typiquement capitaliste mais en perpétuelle actualisation, et la situation exceptionnelle créée par la pandémie est l’occasion de procéder à de brutales contre-réformes tout en essayant de dépasser, à défaut de la résoudre, la crise d’hégémonie qui mine les classes dominantes, quitte à renforcer encore un peu plus les dispositifs autoritaires d’exercice du pouvoir.

Un autre monde est nécessaire

C’est à cette réorganisation d’ampleur, promettant toujours davantage d’oppression et d’exploitation des êtres humains et de la nature et, partant, toujours plus de crises aux conséquences sociales et écologiques catastrophiques, qu’il s’agit de s’opposer. Ce qui commence par combattre, ici et maintenant, les choix catastrophiques des gouvernements capitalistes, en leur opposant des politiques au service de la majorité de la population, appuyées sur la mobilisation et l’auto-organisation de cette dernière. Il s’agit entre autres de refuser la fausse alternative entre la santé et les emplois, qui repose sur le double postulat de la nécessaire croissance et de la toute-puissance du patron dans son entreprise. Il s’agit aussi de rejeter une seconde fausse alternative, entre les libertés publiques et la lutte effective contre la pandémie, fondée sur l’idée selon laquelle le combat contre le développement du Covid passerait nécessairement par des mesures contraignantes, imposées d’en haut.

Il s’agit de remettre au cœur de la discussion et des mobilisations toutes les questions – légitimes – qui se sont posées avec acuité lors des confinements du printemps : quelles sont les productions réellement utiles ? Quels sont les domaines desquels le privé doit être exproprié pour en finir avec les logiques de rentabilité ? Comment organiser le travail dans les secteurs indispensables, en écoutant en premier lieu les salariéEs, afin d’éviter les contaminations ? Comment partager davantage le travail, en réduisant massivement sa durée hebdomadaire sans perte de salaire, pour que cette réorganisation globale ne se fasse pas au détriment des salariéEs ? Comment financer tout cela en prenant l’argent là où il est, plutôt que de dilapider des dizaines, voire des centaines de milliards d’argent public, pour des « plans de relance » dont les recettes n’ont jamais fonctionné ? Qu’est-ce qu’une véritable politique sanitaire, faisant primer la vie et non les profits, et associant la population aux décisions qui la concernent, faute de quoi elles ne seront ni acceptées ni appliquées ?

Au-delà, c’est la question d’un système qui porte en lui les crises écologiques, sanitaires et sociales qui est posée, et nous ne devons pas, à ce titre, oublier que, quelques semaines avant le début de la pandémie, il était difficile d’établir une liste exhaustive des pays qui avaient été, ou étaient le théâtre, au cours des semaines ou des mois précédents, de soulèvements populaires mettant directement en cause les régimes en place et les faisant vaciller, voire chuter : Irak, Chili, Équateur, Liban, Porto Rico, Soudan, Colombie, Hong Kong, Nicaragua, Algérie, Haïti… Si la pandémie de Covid-19 a quelque peu mis « entre parenthèses » ces mobilisations de masse, nul doute que les raisons de la colère sont toujours bien là, et qu’elles se même sont à bien des égards renforcées. Il s’agit plus que jamais de défendre la perspective d’un autre monde, d’une autre organisation de la production, d’une société écosocialiste, en ayant pleinement conscience du fait que la mise à nu, par la crise du Covid, des mortelles impasses du système capitaliste, peut donner un écho tout particulier à un tel programme/projet.

  • 1. Cité dans Isabelle Mayault, « Coronavirus : " L’OMS n’est pas une puissance supranationale" », la Croix, 24 janvier 2020.
  • 2. Andreas Malm, La Chauve-souris et le capital : stratégie pour l’urgence chronique, éditions la Fabrique, 248 pages.