Entretien. Le 7 mars dernier, jour de mobilisation dans le secteur de la santé, une employée du service informatique médical de l’hôpital Cochin âgée d’une quarantaine d’années a mis fin à ses jours dans l’enceinte de l’établissement. L’hôpital sous pression... jusqu’au drame ! Nous y revenons avec Apollinaire Bonnereau, syndicaliste SUD à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP).
À l’HEGP, ton hôpital, un an après le suicide d’un médecin, un jeune infirmier s’est à son tour défenestré il y a un mois. Comment expliquer que tant d’agentEs en arrivent à se donner la mort ? Peut-on parler de maltraitance institutionnelle envers les soignantEs ?
Il est souvent difficile d’expliquer les raisons qui poussent les gens à se donner la mort, mais à l’hôpital j’identifie aujourd’hui deux causes principales. La première concerne les soignantEs : ils sont soumis à des risques qui se rattachent directement à leurs professions. Soigner et accompagner les patientEs les exposent à de fortes pressions émotionnelles qui laissent place parfois à des expériences traumatisantes. La deuxième cause est plus récente, et concerne l’ensemble des personnels, qu’ils soient ouvriers, administratifs ou paramédicaux. Elle est directement liée aux réformes de ces dernières années qui ont transformé l’hôpital en entreprise. La recherche de la rentabilité se fait aujourd’hui au détriment de la prise en charge des patientEs et des conditions de travail.
À Saint-Calais (dans la Sarthe), la CGT de l’hôpital a fait part de son incompréhension et de sa consternation après le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui n’ a pas relevé les dysfonctionnements et le harcèlement du personnel. À l’HEGP, Hirsch a défendu la directrice de l’hôpital contre les attaques qu’il juge infondées envers elle.
Comment réagit l’institution hospitalière ? Continue-t-elle à se dégager de ses responsabilités ?
Martin Hirsch défend la directrice de l’établissement mais ne fait rien pour les autres salariéEs. Ils fait même pire en continuant d’appliquer les politiques austéritaires du gouvernement, et nous appuie un peu plus sur la tête chaque jour. La défense de la directrice de l’HEGP par le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ressemble plus à une défense d’intérêts de caste qu’à autre chose.
Concernant notre collègue Emmanuel, la direction ne souhaite pas pour le moment reconnaître le suicide, bien que celui-ci ait eu lieu sur le lieu de travail. Elle attendra pour statuer l’avis de la commission de réforme. De notre côté, nous avons mis en place une expertise CHSCT qui doit faire ressortir les risques professionnels pour étayer la reconnaissance de l’accident de travail.
Critiquée pour son absence de réaction, Marisol Touraine a finalement expliqué en septembre 2016 que « la culture du bien-être doit exister à l’hôpital » et demandé « que l’on travaille à de nouvelles mesures pour les risque psycho-sociaux ». Quelles mesures ont été prises et comment sont-elles ressenties par le personnel ?
Le petit doigt sur la couture du pantalon, nos directeurs ont ressorti les groupes de travail sur les risques psycho-sociaux. Mais depuis des années, ces groupes n’ont fait que noircir du papier. Depuis qu’ils existent, la situation n’a fait que se dégrader...
Si la ministre souhaite vraiment améliorer la situation, qu’elle revienne sur les dernières réformes qui nous font tant de mal : que se soit les pôles qui ont fait exploser les collectifs de travail ; la tarification à l’activité (T2A) qui, dans sa logique productiviste, a cassé l’hôpital public en lui faisant perdre le sens de ses missions ; ou bien encore les groupes hospitaliers de territoire qui n’ont d’autre but que de mettre en concurrence les établissements entre eux et de générer des mutualisations qui vont avoir pour conséquences de réduire l’offre de soin.
Quelles mesures prioritaires faudrait-il prendre pour stopper cette dramatique vague de suicides ?
Réinjecter d’urgence des moyens humains et supprimer les primes d’objectif des directeurs en les intégrants dans leur salaire, car elles les empêchent aujourd’hui d’assumer leurs responsabilités dans la protection des salariéEs.
Propos recueillis par S. Bernard