Sept mois après le début de la grève des urgences, la mobilisation s’étend à l’ensemble des services hospitaliers. Il s’agit d’un mouvement sans précédent qui touche tous les soignantEs de l’hôpital, y compris les médecins. L’hôpital vit un moment très particulier et qui prend chaque jour plus d’ampleur.
Aux trois principales revendications portées par le Collectif inter-urgences (salaires, ouverture de lits et embauche de personnels) se sont greffées d’autres demandes, votées à Paris le 10 octobre dernier au cours d’une AG du Collectif inter-hôpitaux (le CIH) qui a réuni, à la Pitié-Salpêtrière, plus de 600 professionnelEs dont beaucoup de médecins. Ces nouvelles revendications portent d’une part sur la gouvernance hospitalière dont les soignantEs ont été privés avec la loi HPST, actant la volonté de l’État d’éloigner les soignantEs des décisions cruciales sur le plan budgétaire, dans la mouvance de « l’hôpital entreprise ». Elles portent également sur le mode de financement des hôpitaux, la tarification à l’activité, profondément inadaptée aux pathologies chroniques et qui participe à la déshumanisation de la médecine en la réduisant à une production d’actes techniques. Enfin, elles comptent bien peser sur le vote du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), chargé de déterminer l’enveloppe globale destinée aux hôpitaux, l’ONDAM, encore diminuée cette année.
Plusieurs actions ont été décidées, dont une montée nationale le jeudi 14 novembre de l’ensemble des personnels hospitaliers du territoire. Les usagerEs seront présents et il s’agira certainement d’une manifestation d’ampleur, le mouvement étant très largement soutenu par la population.
« Bons » et « mauvais » patientEs
La colère des soignantEs est alimentée par un sentiment de perte de sens du travail, en lien avec des conditions de travail qui se dégradent. Nous avons peu à peu assisté à un glissement terrible : notre mission n’est plus centrée sur le soin mais sur la recherche de rentabilité.
Il faut que ça tourne : unE patientE qui reste trop longtemps, c’est-à-dire au-delà d’une certaine durée moyenne de séjour (DMS) – établie pathologie par pathologie au niveau national – fait perdre des points (donc de l’argent). L’obsession de l’administration et donc des soignantEs par ricochet, depuis une dizaine d’années et l’avènement de la tarification à l’activité, c’est « Quand est-ce qu’il sort ? ». Au point que nous avons fini par donner un nom à ces « mauvais » patientEs qui plombent nos budgets... Ce sont les « bed bloqueurs ». Ce terme est devenu un générique à l’hôpital. Comme celui de « bed manageur », chargé de traquer les lits, et de mettre la pression sur les services pour accélérer les sorties. À force, on s’y applique, docilement, on intègre la consigne, consigne qui n’a plus rien à voir avec le fait de soigner.
Mais rassurons-nous, il y a aussi de « bons » patientEs. Ce sont celles et ceux qui, paradoxalement, coûtent cher à l’hôpital (à l’assurance maladie donc !) et qui restent peu de jours. Pourquoi des bons patientEs ? Parce qu’ils et elles nourrissent (sans le savoir) le budget des hôpitaux, calculé sur l’activité qu’ils génèrent. C’est la fameuse tarification à l’activité, la T2A. Chaque séjour de patientE génère un code qui va apporter de l’argent à l’hôpital pour l’année suivante et qui est déterminé par la pathologie du patientE (dotation fixe par séjour). Il s’agit d’un système inégalitaire, qui ne prend pas en compte les vulnérabilités individuelles, sociales ou autre. Elle ignore les malades au profit des maladies.
Hôpital-entreprise
Ce n’est pas « le juste soin au moindre coût » mais « le moindre soin au meilleur coût » ! Une absurdité. On comprend mieux aussi comment le secteur privé lucratif va tenter de détourner ces « bons patientEs » rémunérateurs, en créant des structures très spécialisées, susceptibles de les prendre en charge et qui s’inscrivent dans la politique du « virage ambulatoire » voulue par Macron et ses prédécesseurs.
En calquant le mode de gestion des hôpitaux sur celui du privé, on a renforcé volontairement le modèle de « l’hôpital-entreprise », le soin devenant un objet de production comme un autre, d’où le terme de marchandisation de la santé malheureusement communément admis désormais. Et c’est la culture de service public qui est ainsi mise à distance.
Le plan « Ma santé 2022 », présenté par Macron, sous-entend que notre système de santé ne souffrirait pas d’un problème de sous-financement mais d’organisation. Ce qui est loin de la réalité, et très culpabilisateur pour des soignantEs déjà à bout de souffle. Le nouveau management public s’applique désormais dans les hôpitaux, ce qui oblige les soignantEs à se soumettre à des logiques de performance, éloignées de leur métier.
Cela contribue à la privatisation de la santé, avec une alliance « gagnant-gagnant » de l’État et des marchés privés qui saisissent pour l’un l’opportunité de se désengager du soin et pour les autres celle de faire des profits. Notre système de santé explose, renforçant une santé à plusieurs vitesses, profondément inégalitaire et qui, en définitive, va nous coûter très cher puisqu’il génère de plus en plus de renoncements aux soins, amenant, à terme, à des prises en charge plus onéreuses et à une dégradation de l’état de santé d’une partie croissante de la population. Et parallèlement à ce désengagement, les méga entreprises en santé privées vont continuer à pouvoir faire profiter leurs actionnaires de la manne financière générée par cette dérégulation, une sacrée aubaine !
JL, médecin hospitalier