Lors de sa campagne électorale, Macron avait annoncé son intention de « refonder la Sécurité sociale » : elle ne serait plus assise sur le travail. L’État, plus que « les partenaires sociaux », deviendrait le garant de cette protection, et le financement ne s’effectuerait pas exclusivement par les revenus du travail.
Par diverses mesures, le gouvernement met en œuvre ce programme afin d’achever le chantier de démolition de la Sécurité sociale, entamé depuis plus de 60 ans, mais qui n’a pas pu aboutir à son objectif final en raison de mobilisations sociales auxquelles se sont souvent heurtés les différents pouvoirs de gauche et de droite.
Les députés LREM ont voté en commission des Lois, avant d’annoncer qu’ils feraient volte-face, un amendement supprimant toute référence à la Sécurité sociale dans le projet de révision constitutionnelle. Les termes « Sécurité sociale » étaient remplacés par « protection sociale » dans les différents articles de la Constitution… Or ces deux entités sont différentes. La Sécu est un acquis social, qui n’est certes pas indépendant de l’État, mais qui conserve une relative autonomie par son financement propre et est régie par des principes, notamment « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » et « la redistribution solidaire entre bien portant et malades, retraités et actifs, privés d’emploi et salariés ». En revanche, la protection sociale est un concept beaucoup plus large, sans définition juridique précise, pouvant englober des organismes privés, telles les assurances qui occupent une place en progression dans le « marché » de la complémentaire santé.
Hold-up d’État
CGT, FO, et même la CFDT ont réagi au projet de modification constitutionnelle par des communiqués s’alarmant des conséquences, pour la Sécurité sociale, de ce changement sémantique, et le journal l’Humanité a lancé une pétition pour sa défense. Le Premier ministre Édouard Philippe a répondu en moins de 48 heures, prétendant qu’« il ne s’agit en aucune façon de mettre en cause la Sécurité sociale », mais il fallait être bien naïf pour croire à un recul dans ces conditions : un nouvel amendement a été déposé peu de temps après par le groupe LREM, remplaçant dans le projet constitutionnel « loi de financement de la Sécurité sociale » par « loi de financement de la protection sociale ». Le projet de Macron reste intact et sa mise en œuvre se prépare par la loi de programmation des finances publiques adoptée en décembre, avec un budget 2018 qui prévoit que les excédents de la Sécu serviront à « la réduction du déficit de l’État sous forme de transfert dès 2019 ». Ces excédents pourraient atteindre 24 milliards d’euros en 2022, selon la Cour des comptes.
Le déficit, construit notamment par l’exonération de la part patronale des cotisations sociales (environ 30 milliards par an, cette dernière décennie), a servi de prétexte aux mesures d’austérité qui ont frappé la Sécu et réduit ses prestations. Les excédents programmés par les lois de finances de la Sécu, qui continuent à amputer son budget en réduisant les dépenses de la branche maladie (1,94 milliard en 2018 et 2,01 milliards en 2019), sont désormais utilisés à de fins de démolition de l’institution.
S. Bernard