Publié le Jeudi 25 novembre 2021 à 18h00.

La « grande Sécu » : progrès ou régression ?

Le ministre de la Santé Olivier Véran a demandé au « Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie » (HCAAM) d’étudier une modification de la part respective des remboursements des soins partagés entre la branche maladie de la Sécurité sociale, qui rembourse plus des trois quarts des soins, et les complémentaires (mutuelles, institutions de prévoyance et assureurs privés). Une fausse bonne idée ?

 

Le rapport qui devait être publié le 18 novembre, à l’issue d’une réunion du HCAAM, n’a pas été rendu public, les représentants des complémentaires santé s’étant insurgés contre la potentielle réforme. Cependant plusieurs journaux avaient déjà dévoilé les grandes lignes du texte.

Quatre scénarios sont proposés : parmi de nombreuses mesures envisagées, le premier expose des mesures qui étaient déjà envisagées comme la mise en place d’un boucler sanitaire, le deuxième propose une « Grande Sécu », le troisième envisage une complémentaire universelle et obligatoire et le dernier suggère un assurance supplémentaire qui rembourserait seule plusieurs prestations (optique, dentaire...) et les dépassements d’honoraires.

Des indéniables progrès...

C’est le projet de « Grande Sécu » qui est le plus largement développé dans le rapport et qui suscite les plus de débats. Les assuréEs sociaux seraient remboursés à l’identique des malades en affection de longue durée, donc sur la base des remboursements définis par la Sécurité sociale pour la prise en charge des soins dispensés par un professionnel de santé conventionné. Le document affirme que cela permettra de rendre aux assurés sociaux « sous forme d’augmentation de leur pouvoir d’achat une fraction importante des charges de gestion des complémentaires ». Tous les tickets modérateurs (reste à charge de l’assuré) seraient supprimés. La Sécu rembourserait les différents forfaits à l’hôpital, les chambres particulières seraient prises en charge par les complémentaires ainsi que les dépassements d’honoraires lors d’une période transitoire car le HCAAM envisage de remettre à plat la rémunération des médecins. Concernant l’optique, le dentaire et les audioprothèses, la Sécu ne prendrait en charge que les actes du panier « 100 % santé » (un choix d’audioprothèses, de lunettes et de prothèses dentaires actuellement remboursées par les mutuelles et la Sécu). Pour les participations financières restant à la charge de l’assuréE, le rapport évoque le versement « d’une franchise annuelle forfaitaire » qui permettrait d’éviter de payer des sommes élevées. La reprise des salariéEs des complémentaires par la Sécu ou la reconversion professionnelle sont aussi envisagées dans le rapport.

… altérés par une importante régression

Selon le HCAAM, cette réforme coûterait 22,4 milliards d’euros à la Sécu. Le coût annuel de gestion de la branche maladie de la Sécu (6,9 milliards d’euros) est moins élevé que celui des complémentaires (7,6 milliards) alors que la Sécu couvre 79 % des dépenses et les complémentaires 13 % ! Une grande partie des frais de gestion des complémentaires (5,4 milliards) seraient économisés et les cotisations afférentes transférées à la Sécu, mais cela ne suffirait pas à financer la « Grande Sécu ».

Les cotisations patronales pourraient augmenter d’autant plus que la participation des employeurs au financement des complémentaires serait fortement réduite mais ce n’est pas ce qui est envisagé par le Haut conseil qui envisage une augmentation des « prélèvements obligatoires » et propose de mobiliser la TVA et les ITAF (impôts et taxes affectées à la protection sociale, essentiellement la CSG), autrement dit de fiscaliser la Sécurité sociale !

Le financement par l’impôt de la branche maladie de la Sécu devenu majoritaire pourrait ainsi se généraliser, exonérant toujours plus les employeurs de leurs contributions au financement. Cela pèserait sur les revenus d’activité (salaires, traitements, participation, intéressement), les revenus de remplacement (pensions de retraite, d’invalidité, allocations chômage, RSA, préretraite, indemnités journalières pour maladie, maternité, accidents). Par contre les employeurs vont être dispensés du paiement de la part patronale de la cotisation sociale à l’assurance maladie, tandis que les salariéEs vont constater sur leurs bulletins de salaire une baisse du salaire brut puisque le salaire socialisé ne financera plus les prestations maladies. Ce glissement vers la fiscalisation totale de la Sécu a pour corollaire l’étatisation de la Sécu, elle justifie le poids toujours plus croissant de la prise de pouvoir de l’État dans la gestion de la Sécurité sociale et l’anéantissement du peu qui restait de la démocratie sociale.

Ce que nous voulons

Nous sommes d’accord pour le remboursement intégral des dépenses de santé par un seul et unique organisme, la Sécurité sociale, et nous voulons que le « 100 % Sécu » soit financé par la part patronale de nos cotisations sociales. Nous voulons aussi que les organismes de Sécu soient gérés démocratiquement par des représentantEs des assurés sociaux élus et révocables démocratiquement.

 

1 – Voir, dans l’Anticapitaliste du 4 novembre 2021, le dossier « la Sécu sur la sellette », et notamment l’article portant sur les rapports qui sapent la Sécu.

2 – Les charges des ménages s’élèvent à 7 % et l’État paie 1 % des dépenses (source : les chiffres clés de la Sécu en 2020).