Publié le Mercredi 30 mai 2018 à 12h48.

« Notre système de santé, qui était l’un des meilleurs du monde, est en train de s’effondrer »

Alors qu’un rapport parlementaire récemment remis à Agnès Buzyn, ministre de la Santé, semble annoncer de nouvelles attaques contre l’hôpital public au prétexte de la saturation (bien réelle) des services d’urgence, nous avons rencontré Christophe Prudhomme, médecin urgentiste de l’hôpital Avicenne, militant CGT et membre de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF).

Partages-tu le constat selon lequel notre système de santé va mal ?

Notre système de santé, qui était l’un des meilleurs du monde, est en train de s’effondrer, conséquence des logiques libérales qui sont à l’œuvre depuis 1983 sous Bérégovoy. Aujourd’hui, nous sommes le pays de l’Europe de l’Ouest où la part de l’hospitalisation privée lucrative est la plus importante. 

Une des propositions de la CGT est de retirer l’agrément Sécurité sociale pour les établissements de santé privés à but lucratif. S’ils veulent continuer à travailler, il faut qu’ils basculent au statut à but non lucratif et dans un second temps on voit si on les intègre dans les services publics. Il n’est pas question que l’argent de la Sécu aille dans les dividendes des actionnaires.

Nous avons appris dans la presse la mort de deux personnes âgées dans des salles d’attente des -urgences d’hôpitaux. Que penser de ces événements ?

On médiatise les cas qui existaient déjà, et que l’administration et une partie des médecins responsables cachaient. À la suite de l’affaire de Strasbourg, les bouches s’ouvrent. Des personnes âgées qui meurent sur des brancards aux urgences, on en a régulièrement.

Une des causes, c’est la non--médicalisation des EHPAD, le manque de personnel dans les EHPAD. Ces deux personnes en fin de vie n’auraient jamais dû arriver aux urgences. Malheureusement dans les EHPAD, la nuit, les week-ends et les jours fériés, c’est-à-dire les 2/3 du temps, il n’y a que des aides-soignantes qui ne peuvent pas assumer seules la prise en charge de ces personnes. C’est la raison pour laquelle on revendique 200 000 emplois dans les maisons de retraite. C’est simplement être au même taux d’encadrement que des pays européens auxquels on se compare très souvent pour nous faire avaler des couleuvres. Si les EHPAD étaient médicalisées, c’est-à-dire avec une infirmière 24 heures sur 24, des aides-soignantes en quantité suffisante et des médecins prescripteurs salariés, dans les 2/3 des cas les personnes n’auraient pas besoin de venir aux urgences et resteraient dans leur EHPAD dans un environnement plus satisfaisant, surtout quand elles sont en fin de vie.

Et au-delà des urgences et des EHPAD ?

Pour les autres causes, les urgences sont le miroir grossissant de tous les dysfonctionnements du système de santé. C’est celui de la médecine générale en ville car aucune mesure n’a été prise ces 30 dernières années pour la réorganiser alors que les problèmes de démographie étaient prévisibles. Entre l’arrivée de Touraine et aujourd’hui, on a 5 000 généralistes en moins alors que le nombre de médecins n’a pas baissé. Non seulement il n’y a pas assez de médecins mais, proportionnellement, il y a trop de spécialistes par rapport aux généralistes. Le Journal of the American Medical Association (AMA), qui est un journal de médecine américain très réputé, explique que dans nos pays riches et développés avec une population vieillissante, il faut modifier notre stratégie de formation de médecins, il faut former plus de généralistes que de spécialistes et il faut plus de lits de médecine polyvalente dans nos hôpitaux qui sont trop spécialisés. La population ne trouve plus de médecin en ville et quand on en trouve, le mode d’exercice libéral en cabinet ou en cabinet de groupe ne répond pas aux besoins. Il faut que les médecins travaillent dans une structure qui ait un minimum de plateau technique pour ne pas avoir à multiplier les prises de rendez-vous pour une radio ou pour une prise de sang. Les gens préfèrent attendre six heures aux urgences, avoir tout sur place et avoir un service qui corresponde à leur demande. 

Que faut-il changer à l’hôpital ?

L’hôpital du 21e siècle ne peut pas être l’hôpital du 20e siècle. C’est-à-dire celui de la médecine technicienne hyperspécialisée qui ne correspond plus qu’à une petite partie de la médecine et la plus grande escroquerie politique de ces dernières années est le tout-ambulatoire. La chirurgie réglée pour les patients en bon état général peut se faire en ambulatoire si les gens n’habitent pas trop loin et ont un environnement familial et socio-économique satisfaisant. Ça, c’est une toute petite partie de la médecine. Les besoins qui vont aller en grandissant sont ceux de personnes de plus de 50 ans atteints de polypathologies, de maladies chroniques, de diabète, des problèmes d’hypertension et des problèmes cardiaques à la fois.

Ils ont besoin d’être hospitalisés dans des services de médecine polyvalente avec des spécialistes consultants et des médecins généralistes hospitaliers qui coordonnent la prise en charge de ces patients et organisent le retour à domicile. Aujourd’hui, ces patients sont hospitalisés dans des services de spécialité où les médecins ne veulent pas s’occuper d’eux et où l’objectif est de les mettre dehors le plus rapidement possible. Nous, les urgentistes, on appelle ces patients, les patients boomerangs. C’est-à-dire, qu’on les fait sortir le vendredi soir et ils reviennent le samedi soir ou dimanche matin dans un état dégradé car on ne s’est pas préoccupé des conditions dans lesquelles ils pouvaient poursuivre leurs soins à la maison.

Pour toi, quelles seraient les -mesures urgentes et immédiates pour désengorger les urgences et pour qu’elles soient de meilleure qualité ?

Il faut former plus de médecins généralistes qui travaillent comme salariés dans des centres de santé pour qu’ils soient justement répartis sur le territoire et travaillent dans des conditions qui leur permettent de répondre aux besoins de la population. Il faut transformer les hôpitaux en rouvrant des lits de médecine, en arrêtant les plans d’économie qui se traduisent par des suppressions de postes, de lits et d’hôpitaux de proximité. Il faut créer 200 000 emplois dans les EHPAD et les médicaliser.

Propos recueillis par correspondante