Le mercredi 24 février, le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou a présenté les résultats annuels du groupe. Déficit moins important que prévu : 3 milliards plutôt que les 5 milliards annoncés il y a quelques mois, le chiffre d’affaires de 30 milliards n’aurait baissé que de 14 %.
Le PDG est donc satisfait, au bord de ce trou béant. Il a d’ailleurs décliné toute responsabilité. Pas sa faute. L’année 2020 a d’abord commencé par une détestable grève à l’hiver (ça coûte un max aux patrons, les grèves !), puis on s’est enfoncé dans le tunnel de la pandémie, dont on ne voit pas le bout. D’où une chute de fréquentation et de chiffre d’affaires de plus de la moitié sur les grandes lignes : les familles confinées sont moins parties en vacances, mais surtout les hommes d’affaires et/ou les salariéEs en télétravail habitués des TGV ou Eurostar ont déserté. Pour ce qui est des ouvrierEs et employéEs, pas de souci : ils ont continué à s’entasser dans les trains de banlieue ou TER pour aller au boulot. Reste le trou qu’il va falloir combler en cherchant à se payer sur les usagerEs comme sur les cheminotEs. Sur l’État aussi, par le recours au chômage partiel, non négligeable et prolongé pour 18 mois par un récent accord avec UNSA-CFDT et Sud… mais sans oublier que l’argent de l’État est celui des usagerEs et cheminotEs contribuables. On en revient donc aux deux mamelles de la SNCF.
Sur le dos des usagerEs ?
Il faudrait évidemment que le TGV reparte. Mais la SNCF annonce de l’innovation : une politique de bas coûts, voire prix cassés, qui lui permettrait de gagner une nouvelle clientèle (plutôt jeune et peu friquée). En tête de gondole pour la mi-avril, bien qu’un peu mal tombé pour Farandou : un aller-retour quotidien Paris-Nice à 19 euros qui mènerait direct à la promenade des Anglais… fermée au public, dans une ville en confinement le week-end ! En attendant, on peut expérimenter depuis la mi-janvier un Paris-Lille pour week-end et jours fériés à 10 euros… qui fait voir du paysage, car à la différence du TGV qui fonce vers la capitale des Hauts-de-France en une heure, ce Corail revisité met deux heures et vingt minutes. Il y aurait aussi des Paris-Nantes, Paris-Bordeaux, et de nouveaux trains de nuit vieilles couchettes, moins chers même que les Ouigo… pour des trajets bien plus longs, dans des wagons historiques. La direction de la SNCF mise sur l’accroissement de la clientèle pauvre. Bien vu !
Sur le dos des cheminotEs ?
La direction de la SNCF poursuit ses efforts dits de « productivité ». Selon le Bilan social 2019, 7 000 postes ont été supprimés en trois ans, de 2017 à 2019. Mais pas de licenciements à la SNCF, « les choses se passent tranquillement » selon son PDG : départs en retraite, découragements… Sauf que ça veut dire davantage de boulot pour celles et ceux qui restent. Tout là-haut, Farandou jongle avec ses statistiques… Tout en bas, sur une multitude de chantiers, les cheminotEs frappés de plein fouet par des conditions de travail détériorées par le manque d’effectifs commencent à s’agiter et à multiplier les journées de grèves et débrayages. Il y a comme un « climat » à possible emballement. Température réelle ou « ressentie » ? En tout cas le « ressenti » est là !
Changement d’ambiance à la SNCF
On ne peut lister ici qu’une infime partie des escarmouches : des débrayages dans des technicentres du Landy (Paris-Nord), de Châtillon, du TSEE (Paris-Gare de Lyon) et de Hellemmes (Lille) ; des journées de grève de contrôleurEs dans la région de Valenciennes ou de Tours ; des débrayages de 59 minutes chez des conducteurEs ou sur des chantiers de travaux, etc. Les réactions sont multiples face aux tentatives de la direction de rogner sur les effectifs par petits paquets, sur des sites et « chantiers » généralement peu nombreux où deux collègues en moins ici, trois ou quatre en moins là, ça peut sacrément vous pourrir la vie. Le mercredi 24 février, cela s’est traduit par un « dépôt de sac », c’est-à-dire une grève intempestive ne respectant pas la procédure légale d’annonce préalable, chez des conducteurEs du RER A et de lignes du réseau Saint-Lazare en région parisienne – qui a paralysé le trafic pendant vingt-quatre heures – en réponse à l’agression d’un conducteur. Les gares et sites dont la désertification déjà bien entamée s’aggrave avec la pandémie, deviennent des zones dangereuses. Mais c’était aussi le coup de sang contre les sous-effectifs et les bas salaires (qui n’ont pas bougé depuis 2012 et s’invitent dans cette période sensible de « notations » d’où découlent l’avancement ou pas, l’augmentation ou pas).
Il y a un changement d’ambiance à la SNCF – une entreprise où, depuis 2014, sans remonter plus loin, de vraies grèves ont éclaté tous les deux ans. Rien n’est écrit certes, mais la direction elle-même est attentive, partagée entre des tentations de réprimer ici ou là, et une confiance dans la prédisposition des directions syndicales à ne pas mettre le feu aux poudres voire à en éviter les départs…