Publié le Jeudi 23 février 2012 à 11h20.

Au Prix du Gaz, les ouvriers sont dans la place

Entretien avec Karel Pairemaure, réalisateur du documentaire "Au prix du Gaz" sur la lutte des New Fabris. Nous nous sommes retrouvés un mardi soir au Biblio café de Poitiers alors qu’il sortait d’une conférence dans le cadre du festival « Filmer le Travail ». À sa table Guy Eyermann, leader CGT du conflit, aujourd’hui conseiller régional sur la liste de Ségolène Royal. Au premier abord on retrouve très vite l’ambiance de son documentaire, ambiance ouvrière, au bon sens du terme ! Après quelques échanges évasifs sur la météo et le festival « Filmer le travail », nous entrons rapidement dans le vif du sujet : son documentaire et la situation politique actuelle.

Lorsque je lui demande pourquoi un film sur les New Fabris, Karel n’hésite pas une seconde à répondre : « J’étais dans la petite campagne de Châtellerault, et lorsque j’entendais les médias dominants qualifier les ouvriers de terroristes et gangsters parce qu’ils menaçaient de faire sauter l’usine, je ne pouvais rester sans rien faire. Ça m’a beaucoup énervé d’entendre les médias parler des ouvriers de cette manière. Moi, ces gars, je les voyais tous les jours dans la région de Châtellerault quand j’emmenais mes gamins à l’école ou même lors d’activités quotidiennes. [...] L’idée préalable n’était pas de faire un film, c’était de laisser une trace réelle et objective dans les archives. De faire mon travail de mémoire et éventuellement de remettre les pendules à l’heure sur la réalité. L’idée d’en faire un film, avec l’histoire du monde ouvrier sur la ville et « l’après usine » est venue pendant le tournage, un peu spontanément en fait ». Un peu plus tard, Karel ne cache pas, qu’en tant que petit-fils d’ouvrier, il sentait le devoir de donner une trace positive au combat des New Fabris qui « se levaient pour leur dignité, pour vivre et pas survivre ».

La question qui est ensuite venue concerne la conscience de classe que l’on peut déceler dans le documentaire notamment en suivant Benoît, ouvrier de l’usine récupéré par un « escroc voyou » qui lui explique qu’en devenant auto-entrepreneur dans les assurances, il pourra non seulement aider les autres mais, de plus, vivre correctement. Enthousiaste dans un premier temps, Benoît regrettera vite son choix s’apercevant qu’il n’aidait pas les autres mais qu’ils les arnaquaient, des gens comme lui... Karel Pairemaure rejoint cette analyse. Pour lui il est vrai que « Benoît montre vraiment avec son comportement ce que l’on pourrait qualifier de conscience de classe. Il ne supporte pas de trahir des personnes comme lui. Et, lui qui pensait ne jamais retourner à l’usine se met soudain à douter ». En regardant le documentaire, on se rend en effet vraiment compte que l’esprit de camaraderie existe encore dans la classe ouvrière. Cela ne doit pas nous faire oublier que cette dernière a beaucoup changé, mais l’analyse de Marx sur la conscience de classe par les conditions de vie et de travail qui sont les mêmes pour tous les ouvriers d’une usine, est ici toujours d’actualité.

La discussion est ensuite arrivée sur Guy Eyermann, le charismatique leader de la lutte et, depuis peu, conseiller régional « royaliste ». Pour Karel Pairemaure ce fût une réelle surprise le jour où Guy lui a annoncé qu’il allait se porter candidat auprès de Ségolène Royal, tant cette dernière semblait (et semble toujours) loin de la lutte des Fabris et loin des Fabris tout court. Néanmoins il défend tout de même le leader CGT en reprenant les arguments de ce dernier : « Guy, lorsqu’il défend son choix, explique que pour lui la politique ne doit pas être une affaire de politiciens. Le fait qu’un ouvrier soit élu, c’est un peu ce qui le bottait. L’idée de mettre les mains dans le cambouis aussi ». Difficile d’intégrer l’argument alors qu’il semblerait que justement Guy se soit retrouvé au centre même d’une manœuvre politicienne à visée électoraliste. Mais passons... et ne gardons du personnage de Guy Eyermann que l’image d’un homme qui aura, jusqu’au bout, lutté avec l’ensemble de ses collègues ouvriers aussi bien que n’importe quel militant révolutionnaire l’aurait fait.

C’est justement en parlant de Guy et de l’idée de ne pas laisser la politique aux politiciens que m’est venue la remarque suivante : le candidat du NPA, Philippe Poutou, n’est-il pas justement censé représenter ça ? La politique non professionnelle ? Que pensez-vous du fait que le NPA présente un ouvrier à l’élection, c’est en lien avec votre film, non ? « En lien avec mon film, je ne sais pas. Mais je ne peux que me féliciter du fait qu’un ouvrier soit candidat à la présidentielle. C’est une excellente chose, au-delà du programme qu’il défend par ailleurs. En effet, je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait des gens qui fassent autre chose que de la politique du matin jusqu’au soir, qui investissent les organes, les instances politiques ».

Un peu à l’image du livre signé Philippe Poutou "Un ouvrier c’est là pour fermer sa gueule", l’ouvrier candidat du NPA ne pourra continuer à l’ouvrir que s’il obtient les 500 parrainages obligatoires. Pour les ouvriers de New Fabris et pour Karel Pairemaure, il faudra un soutien populaire. Alors, achetons tous leur DVD et partout, diffusons la parole des ouvriers de New Fabris. Pour acheter le DVD : http://www.engrenage.org/