Publié le Lundi 19 octobre 2020 à 09h59.

Biocoop : « Le secteur connaît aujourd’hui une très grande répression syndicale »

Entretien. Alors que la répression patronale s’abat, nous avons fait le point sur la mobilisation avec Konstantin, salarié en lutte à Biocoop (voir notre interview précédente 1).

Entre propositions et surtout répression, peux-tu nous dire où en est votre mobilisation face à l'attitude de votre direction ?

Alors que notre patronne nous avait dit à la sortie de notre dernière réunion de négociation qu’elle reviendrait vers nous dans deux semaines, elle en a profité quelques jours après pour mettre à pied deux grévistes et en convoquer un troisième. Deux de nos collègues grévistes ont été licenciés mercredi 14 octobre, une troisième collègue est toujours mis à pied et une quatrième gréviste est convoquée en entretien préalable à avertissement vendredi 23 octobre.

Face à ces attaques, nous continuons à tenir le piquet de grève chaque semaine, ce qui nous a permis d’avancer sur la question des repos et des ruptures conventionnelles, mais il n’y a toujours rien de concret pour la fermeture le dimanche et les salaires alors que notre patronne a les moyens de payer des huissiers de justice pour nous surveiller sur chacun de nos piquets.

Nous allons intensifier le rapport de force ces prochains jours pour gagner sur l’ensemble de nos revendications et mettre fin à cette répression.

Les grévistes ont pris beaucoup d'initiatives, que ce soit la tenue de rassemblements à l'occasion des piquets de grève ou une soirée de soutien. En quoi cette ouverture est importante pour l'animation de la lutte ?

Il était important pour nous d’organiser une soirée de soutien à notre grève pour continuer la dynamique que nous avions commencé lors de la journée interprofessionnelle du 17 septembre où nous avions manifesté aux côtés de camarades de six autres magasins Biocoop. A l’heure où la direction nationale de Biocoop veut racheter 105 magasin Bio C Bon pour s’étendre toujours plus et s’aligner totalement sur les méthodes de la grande distribution au détriment de nos conditions de travail, il était fondamental pour nous d’exposer en quoi ce qui se passe dans notre franchise est le laboratoire de ce qui va se généraliser à l’échelle de l’enseigne au niveau national : avantages sociaux à la carte selon les franchises, emplois jetables, aucune évolution des salaires, discrimination syndicale etc. Cette soirée a également été l’occasion de rencontrer les organisations écologistes comme Youth For Climate, Désobéissance Ecolo ou les Amis de la Terre pour penser une écologie au service de la majorité et non des patrons qui se repeignent en vert tout en détruisant nos emplois et en dégradant nos conditions de travail.

En quoi votre situation rejoint celle de beaucoup de travailleurs du commerce, et comment avancer concrètement dans ces convergences nécessaires ?

Le secteur des commerces et services n’a pas de grande tradition de lutte ni d’organisation : il n’y a que 2 % de syndiqués dans le secteur, beaucoup de contrats précaires à temps partiel, ce qui empêche de se regrouper et de lutter sur le long terme dans nos entreprises. Par ailleurs, le système de franchises qui se répand constitue une réelle entrave au droit syndical puisque cela nous empêche de nous rencontrer entre travailleurs et de lutter ensemble alors que nous avons les mêmes patrons.

Le secteur connaît aujourd’hui une très grande répression syndicale comme on peut le voir chez nous ou à Monoprix, et le management toxique et sexiste est la norme, comme l’ont démontrés les mobilisations des salarié.e.s de McDonalds mais aussi les licenciements des lanceuses d’alertes : jeudi 8 octobre, le même jour où Laetitia, gréviste à Biocoop, passait en entretien préalable à licenciement pour avoir dénoncé le harcèlement moral et sexiste d’un membre haut placé de la hiérarchie, la représentante de la section syndicale SUD H&M GBC Logistics était également en EPL pour avoir dénoncé les violences sexistes touchant plusieurs femmes dans l’entreprise...

Partout, c’est la même violence qui s’abat sur les travailleuses et travailleurs qui osent relever la tête. En ce sens, nous pensons qu’il est important de renforcer les cadres d’auto-organisation dans le secteur et l’appel des TUI France est une échéance importante pour s’organiser au delà de nos boîtes respectives.

Votre mobilisation bénéficie d'un large soutien de forces politiques, du NPA à EELV en passant par le PCF ou LFI. Qu'en attendez-vous ?

Nous nous réjouissons d’avoir à présent le soutien d’EELV qui n’avait pas jugé important jusque là de venir sur nos piquets ni de voter pour le vœu de soutien à notre grève au conseil d’arrondissement du 11e, vœu proposé par le PCF il y a plusieurs semaines. Et au dernier Conseil de Paris, le PCF et LFI ont permis d’y porter nos revendications et de prouver une fois de plus la parodie d’écologie de l’exécutif d’Anne Hidalgo puisque ces derniers ont appelé à voter contre le vœu de soutien à notre grève. Comme nous l’avons toujours dit, la seule véritable écologie sera celle des travailleurEs par les travailleurEs.

Notre grève n’est pas seulement l’affaire des salariéEs de deux magasins Biocoop, elle s’inscrit dans une dynamique globale d’attaques sur les conditions de travail, de licenciements, de suppressions d’emplois et de fermetures de site dans tous les secteurs. Soutenir notre grève et nous aider à la gagner, c’est nous permettre d’ancrer un précédent pour tous les travailleurs précaires qui pourront s’en inspirer et aspirer à des conditions de travail dignes.

Propos recueillis par Manu Bichindaritz

1- https://lanticapitaliste.org/actualite/social/biocoop-continuer-notre-mobilisation-jusqua-la-victoire