L’élection du bureau confédéral, de l’administratrice financière et du secrétaire général de la CGT semble marquer une pause dans la crise de la confédération commencée en octobre 2014 avec les premières révélations sur les dérives du mode de vie de Thierry Lepaon.
Orientation et démocratie en question
Cette crise a mis en évidence les interrogations qui traversent la confédération. Tout d’abord des exigences démocratiques qui touchent aux règles de vie à l’œuvre dans l’ensemble des structures : salaires, avantages divers, mode de rémunération des permanentEs ainsi que le contrôle des instances, des prises de décision, des mandats, des modes d’élection des responsables. L’autre grande interrogation est centrée sur l’orientation de la Confédération, c’est-à-dire ses positionnements vis-à-vis du gouvernement, du patronat, plus globalement du dialogue social, mais renvoie aussi à la tactique unitaire et à la construction des mobilisations.
Certes, ces débats n’ont que peu traversé les structures de base de la CGT dont les militantEs se sont surtout efforcés de résister aux attaques conjointes des autres syndicats, des patrons et parfois de salariéEs, de sympathisantEs. Comme lors du débat sur le Traité constitutionnel européen, ce sont pour l’essentiel les structures intermédiaires (UD, quelques UL, fédérations) qui se sont positionnées de la façon la plus critique à la fois sur la démocratie interne et sur l’orientation. Un grand nombre certes, mais pas toutes, ce qui explique la longue résistance de Thierry Lepaon, appuyé par de nombreuses structures peu désireuses de mettre en cause l’orientation confédérale telle qu’elle était mise en œuvre par le successeur de Bernard Thibault. Le résorption de ce décalage de préoccupations est un des enjeux pour asseoir un minimum de démocratie syndicale.
Votes et recherche d’équilibre
C’est à cette réalité complexe que tente de répondre la nouvelle équipe rassemblée autour de Philippe Martinez. Le plus souvent présenté comme un « dur » voire un « communiste » dans la presse, il est surtout notable que lors de sa mandature à la tête de le direction fédérale métallurgie, cette fédération n’a marqué aucune rupture par rapport à la ligne confédérale.
En ce qui concerne le Bureau fédéral de dix membres nouvellement mis en place, s’il faut se féliciter de la parité hommes-femmes, ce qui frappe d’abord, c’est l’inégalité privé/public, avec huit membres issuEs du secteur public contre seulement deux du privé. De même avec quatre cadres et quatre agents de maîtrise ou technicienNEs, on s’éloigne de l’image de syndicat de la « classe ouvrière », parfois caricaturale et souvent formelle qui reste attachée à la CGT.
Sur le plan des orientations, ou plutôt de la façon dont certaines se sont réfractées dans les votes anti ou pro-Lepaon, le partage est égal : cinq contre cinq. Il y a là une volonté de tenter de ressouder les rangs de la CGT en ménageant les sensibilités mais surtout les prérogatives d’appareils ne partageant pas les mêmes analyses et la même perception des enjeux politiques et sociaux, ainsi que des réponses à y apporter. Une volonté pas entièrement partagée, comme en témoigne le vote de la commission exécutive confédérale, avec 27 voix pour, 9 abstentions et 6 contre la proposition de bureau confédéral. Mais une volonté plus assumée par un comité confédéral national dont les votes critiques se sont concentrés sur l’élection de l’Administratrice, pour laquelle des organisations notamment régionales – qui ont voté contre ou se sont abstenues –sont globalement plutôt classées à « gauche ». En ce qui concerne le bureau et le secrétaire général, l’équilibre recherché a atteint son but, rassemblant quasiment toutes les votes y compris celui de structures critiques.
La vraie issue : mobiliser
Il est significatif que la presse pointe la présence de responsables ou de structures s’étant engagées dans le Collectif 12 avril/3A ou dans les manifestations qu’il a initiées (12 avril, 15 novembre, 26 janvier...). C’est bien la volonté de ce collectif d’initier des mobilisations, des manifestations de rue, contre le gouvernement, de façon unitaire, avec notamment les organisations politiques mais aussi des associations, qui s’est confrontée au refus de la direction confédérale. Tout comme les mobilisations unitaires autour de la défense de l’hôpital et de la santé, contre « l’Hôstérité », se sont heurtées à la défiance de la fédération.
Comme l’ont pointé nombre de motions ou contributions de différentes structures, les questions de l’orientation – pour une « CGT lutte de classe » – et de démocratie sont étroitement liées. Les histoires plus ou moins récentes de telles confrontations ont souvent débouché sur des solutions autoritaires qui n’ont abouti qu’à un affaiblissement du syndicalisme. Les équilibres construits au niveau confédéral ne doivent pas servir à étouffer les débats. Mais surtout, la meilleure façon de sortir de l’ornière dans laquelle les pratiques bureaucratiques ont entraîné la confédération est d’engager la bataille contre les agressions patronales, les reculs engagés par le gouvernement. Les objectifs sont clairs : salaires, CICE, loi Macron, seuils sociaux. La détermination de l’ensemble de la CGT doit être à ce niveau.
Robert Pelletier