Le congrès confédéral de la CGT s’ouvrira lundi 13 mai dans les plus mauvaises conditions pour l’organisation aux plus de 600 000 adhérentEs. Si son recul à la deuxième place dans la mesure de la représentativité syndicale est plus symbolique que significatif d’un basculement des rapports de forces, il s’agit malgré tout d’un marqueur d’un déclin lent mais continu de la CGT depuis le milieu des années 1970.
Si les autres confédérations ont fait face aux mêmes difficultés, les spécificités de l’implantation de la CGT dans les secteurs les plus impactés par les réorganisations destructrices d’emplois et de statuts en ont amplifié le phénomène. Des réorganisations au centre desquelles se trouvent les privatisations d’entreprises dans lesquelles la CGT était solidement implantée et qu’elle a largement accompagnées, soit par suivisme de la politique du PCF soutenant les gouvernements de « gauche », soit par calcul et opportunisme visant à maintenir des prérogatives, des financements, des statuts privilégiés.
Les Gilets jaunes, facteur de déstabilisation
À ces difficultés s’est ajoutée l’incapacité à faire combattre les lois Rebsamen, El Khomri et Macron, qui ont mis en pièces une grande partie du Code du travail, et notamment les institutions représentatives du personnel. La réduction drastique des moyens institutionnels des syndicats dans les entreprises ne fait que commencer. Le nombre d’éluEs salariéEs « protégéEs » aura chuté de 700 000 à 500 000 d’ici à la fin de l’année. L’activité des syndicats d’entreprise est presque complètement absorbée par les négociations des nouvelles institutions (CSE et CSCE), en même temps que les CHSCT voient leurs capacités d’action dramatiquement réduites.
L’irruption du mouvement des Gilets jaunes constitue un nouvel épisode de déstabilisation. Une mobilisation en grande partie menée par des couches du salariat éloignées de l’influence syndicale, portant des revendications aux formulations ne correspondant pas aux critères « CGT », avec des formes de lutte incluant des affrontements avec les forces de l’ordre également hors des rituels « CGT ». Des réalités qui ont rendu difficiles les convergences, même après la rectification de la dénonciation initiale du mouvement, notamment au niveau confédéral, et le faux-pas du communiqué intersyndical (sauf Solidaires) appelant à la négociation et dénonçant « toute forme de violence dans l’expression des revendications »… mais pas les violences du pouvoir.
Débats et pistes de travail
Les débats du congrès confédéral sont loin de traverser l’ensemble des rangs des adhérentEs. Seule une frange du corps militant s’y implique. C’est essentiellement par l’écho médiatique donné aux « affrontements » internes lors du congrès que ceux-ci prennent une dimension publique. AucunE militantE ne pense que le statu quo est possible. Au moment du précédent congrès, Martinez déclarait : « Le syndicalisme, par essence, est réformiste ». Plusieurs pistes sont (re)découvertes par la direction confédérale. Tout d’abord revenir au syndicalisme cher à Krasucki « de la feuille de paie et du carreau cassé », mettant en garde contre les confrontations idéologiques en interne et souhaitant rester à l’écart des batailles politiques. La feuille de route reste le « Nouveau statut du travail salarié ».
L’autre idée est celle de la restructuration de la CGT, un chantier mis en route en 2008, censé aboutir à une réduction du nombre de fédérations, à la mise en sommeil d’Unions locales, au chapeautage des instances géographiques par des comités régionaux sous tutelle de la confédération et au développement de syndicats de zone d’activité dépassant le cadre de l’entreprise. Autant de projets qui, tout en répondant en partie à de vrais problèmes, n’ont pas réussi à vaincre les résistances d’appareils fédéraux, départementaux ou de grosses entreprises soucieux de conserver prérogatives et moyens.
Difficile de savoir quels vont être les points de débat du congrès. Des propositions alternatives sont proposées par des syndicats du Nord, Info’com et Goodyear, sur une orientation voisine des structures ayant appelé à la manifestation du 27 avril. Elle se fonde sur un refus des dérives réformistes d’une CGT ayant renoncé à renverser le capitalisme, engluée dans le dialogue social, inféodée à la CES et à la CSI, en opposition à une FSM « lutte de classe ». Avec une radicalité qui a conduit ces structures à rejoindre le mouvement des Gilets jaunes. Mais ces positionnements seront d’autant moins convaincants en raison du faible écho remporté par la manifestation du 27 avril qui illustre la difficulté à mobiliser même avec une « ligne juste ».
Vers un congrès chaotique ?
La CGT, comme l’ensemble du mouvement ouvrier, est confrontée aux conséquences de la restructuration des activités économiques, impactant les capacités de résistance des salariéEs, avec un affaiblissement numérique et un brouillage des repères politiques des équipes syndicales. La logique de la direction confédérale, mais aussi de bien des « oppositions », est de rester sur les acquis du « temps béni » de Krasucki-Séguy pour les unEs, de Viannet-Thibault pour les autres. Pourtant, dans le même temps, les positionnements et l’activité de la CGT ont considérablement progressé ces dernières années sur des thématiques comme l’immigration, le féminisme et les mobilisations LGBT.
Le verrouillage des débats, la sélection opaque mais organisée des déléguéEs au congrès et des candidatEs à la direction confédérale, l’inexistence de cadres de débat augurent mal d’une ouverture indispensable des débats. Tout cela pourrait même mener à un congrès chaotique avec une polarisation des débats sur la composition de la direction confédérale plutôt que sur la stratégie des luttes et les questions revendicatives.
Robert Pelletier