Entretien. Le 11 mars 2009, les salariéEs de Continental à Clairoix (Oise) recevaient leur lettre de licenciement, le début d’une lutte pour laquelle le qualificatif d’exemplaire n’est pas galvaudé. Un film documentaire « La saga des Conti » sort en salle le 20 mars* et la mobilisation n'est toujours pas finie. Xavier Mathieu, l'une des figures de la lutte, nous en dit plus. * Liste des projections en avant-première sur www.lasagadesconti.comLe 26 février, 680 ex-salariéEs de Continental se présentaient devant le tribunal des prud’hommes de Compiègne. Pourquoi ? Il s’agissait pour nous de contester le motif de nos licenciements par Continental et d’exiger des dommages et intérêts pour absence de motif économique. Nous sommes confortés dans notre démarche par la décision du Tribunal administratif d’Amiens d’annulation des licenciements de 22 représentants du personnel pour ce même motif. Le plus intéressant, c’est que le tribunal s’est appuyé sur les propres chiffres de la direction pour refuser ce motif. Si une loi interdisant effectivement la fermeture d’un site sans justification économique existait, le site de Clairoix n’aurait jamais fermé. Chez PSA ou Goodyear, on entend parler de « PSE exemplaires » qui ne laisseraient personne sur le carreau. Qu’en est-il pour les Conti ?Pour la direction, sur les 1 113 salariéEs du site, 91 % ont une « solution identifiée » et 588 seraient en contrat à durée indéterminée (CDI) ou déterminée (CDD) de plus de six mois ou en création d'entreprise, 108 en formation diplômante ou qualifiante, 115 dans une autre situation (retraite, projet personnel, invalidité…) et seulEs 100 personnes encore « en recherche » et accompagnées par le cabinet de reclassement. Pour nous c’est du bidon : 510 à 540 sont à Pôle emploi, environ 200 sont en CDI, une petite centaine ont créé une entreprise dont 70 % ont mis la clé sous la porte. Les autres sont en galère : intérim, CDD ou petite retraite… La majorité de ceux qui sont en CDI sont les cadres ou les salariéEs qualifiéEs. Les autres n’ont rien ou ont trouvé un emploi avec une grosse perte de salaire. Avec le recul, quel bilan tires-tu de votre combat ?Comme les gars de Goodyear, nous avons mené de front le juridique et la mobilisation. Avec un dossier identique (non-consultation de l’ensemble des instances représentatives du personnel), nous avons perdu devant le tribunal de Sarreguemines. À partir de ce moment, face au risque de tout perdre, nous n’avons pas fait appel. Les décisions de justice, ce n’est pas fiable. Les Goodyear ont raison de continuer tant que la justice leur donne raison et leur permet de gagner du temps. Malheureusement, il manque un gouvernement, un État qui appuient les revendications des salariéEs, imposent des solutions au patronat. Le système capitaliste a modifié les mentalités sur le long terme. L’individualisme, le sentiment d’avoir des choses à perdre ou à mettre en péril (crédits). Comme le disait Marx, c’est la société qui fait les hommes, les mentalités, pas le contraire. Si 80 % se déclarent mécontents du système, il manque la volonté de le faire. Il faudrait un mouvement comme le système, international. On discute beaucoup des solutions, interdiction des licenciements, SCOP… Qu’en penses-tu ?En ce qui concerne les SCOP, j’en vois bien la possibilité chez Fralib, mais pour des pneus, ça me paraît plus compliqué, surtout si une marque comme Goodyear refuse de céder son nom. Pour les lois, c’est compliqué. Licenciements boursiers, économiques, on sait bien que les employeurs trouveront toujours des moyens de détourner les lois. Il faudrait que les salariéEs puissent contester les motifs économiques largement en amont des décisions de fermeture ou de licenciements. Le Tribunal administratif aurait interdit les fermetures de sites comme New Fabris, Molex ou autres. Pour nous, le tribunal d’Amiens avait listé trois possibilités : le chômage technique, la répartition des pertes entre toutes les entreprises et la fermeture du site. Bien que le groupe n’ait quasiment jamais cessé de faire des bénéfices, c’est la 3e solution qui a été choisie, sans justification économique. Depuis, Continental a fait 6 milliards d’euros de bénéfices et, en juin 2012, ils ont dû renoncer à la vente de 5 millions de pneus car dans l’incapacité de les produire… Que devient le groupe des Conti ?On se réunit de temps en temps, comme lors de notre passage aux Prud’hommes où nous étions aux alentours de 400. Sinon, nous tenons des assemblées générales de 200 personnes pour les rendez-vous en préfecture. C’est plutôt bien pour une boîte fermée, quand on voit les difficultés pour réunir des salariéEs dans des entreprises où il y a des menaces de licenciements ou de fermetures. Nous restons plutôt fiers de notre combat. À des moments, on aurait pu prendre une autre direction. Mais personne ne peut dire que d’autres choix auraient donné de meilleurs résultats. On ne regrette rien. Et toi, là-dedans ?Pour moi, l’industrie, le travail manuel, c’est mort : zéro proposition. Les seules propositions concernent un métier des plus précaires : le cinéma. Aujourd’hui, ça ne me permet pas de vivre. Si je peux gagner 1 500 euros jusqu’à la retraite… pourquoi pas. Mais en même temps, c’est un milieu où tu n’es pas maître de ton destin. Suspendu au téléphone, dépendant des amiEs, des relations… Évidemment je me pose des questions sur ce que j’ai perdu dans ces années de luttes. La maîtrise de ma vie par exemple. Avec l’envie de retourner à la pêche, aux champignons. Penser, agir avec les autres, collectivement, mais aussi penser à soi. Des regrets ?Pas de regret pour tout ce que j’ai fait, ce que l'on a fait. Lutter, c’est magnifique, ça laisse des traces, beaucoup de souvenirs. Les mauvais s’effacent, il ne reste que les bons.Propos recueillis par Robert Pelletier
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