Entretien. Au Mans, l’école des Beaux-Arts est occupée par ses étudiantEs depuis mi-mars. Nathan, artiste en résidence là-bas, nous raconte son expérience de la mobilisation.
Comment la mobilisation a-t-elle commencé ?
Chez nous, ça a vraiment commencé fort, avec 70 étudiantEs en AG juste après le 49.3. Cette semaine, cela va un peu décrescendo. On va voir si cela se relance ou pas, mais déjà, c’est assez cool ce qui s’est passé. Dès le début, il y a eu l’idée d’une occupation, d’ouvrir l’école pour avoir des temps de débats, d’ateliers… Cela fait un mois que cela dure avec des choses qui se sont lancées, d’autres en suspens qu’on pourrait relancer. Il y a surtout eu des actions et des manifs, avec la vente d’affiches, des objets d’art ou même un stand de crêpes…, ce qui a rapporté 1 000 euros en soutien aux grévistes.
À qui avez-vous reversé la somme ?
Nous avons reversé la somme aux syndicats, mais on ne sait pas qui en profite exactement et c’est compliqué... Ce n’est pas forcément à nous de gérer ça. On fait confiance aux syndicats, on espère qu’ils en feront bon usage. Cela a posé débat parmi les étudiantEs, car on hésite à donner plus spécifiquement à un secteur stratégique en grève (éboueurs de Paris, dockers…) À moins d’aller sur un piquet de grève local...
Au moment du 49.3, de nombreuses écoles étaient fermées contre la casse du service public, dont les écoles d’art. Il y avait déjà un peu le côté convergences des luttes.
Y a-t-il des gens qui ont demandé quel était le rapport entre les deux ?
Oui, mais les étudiantEs ont rapidement été convaincuEs par le fait que la politique néolibérale de Macron détruit les acquis sociaux et les outils démocratiques, donc que l’une ne va pas sans l’autre. Typiquement, ce qui s’est passé est l’exemple le plus parlant : il casse nos retraites par une pratique autoritaire.
Clairement, j’ai vu la convergence se faire dans l’esprit des étudiantEs. Il y en a plein que ne sont pas très politiséEs, qui s’engagent pour la première fois dans un mouvement, mais ce genre de discussions a permis de faire le lien. Avant cela, on n’en parlait qu’entre quelques personnes politisées. En plus, nous on s’en sort mieux qu’à Tours et Angers (où les casses ont été encore plus dures à cause des politiques municipales), parce qu’on a des formations orientées « nouvelle industrie », mais paradoxalement on est obligé de se combiner aux écoles d’architecture en mode « start up multifonction » pour pouvoir être financés. La logique, c’est faire plus avec moins, être multifonction, être une école de design, de transition écologique… Même si pour nous, c’est intéressant ce croisement. Le problème, c’est la pression à être utile.
Au final, la plupart des étudiantEs ne se projettent pas en tant qu’artiste professionnel, mais se disent « j’acquière des compétences qui vont me permettre de trouver du travail dans le cinéma ou le théâtre » en espérant juste pouvoir continuer sa pratique à côté... Dans ce métier, c’est compliqué d’avoir un sentiment collectif.
On a discuté du fait que les artistes ont quelque chose à apporter aux luttes et au dépassement du capitalisme en créant des nouveaux horizons désirables. L’art est un vecteur de désirs, d’imaginaires. Donc on a quelque chose à dire, par exemple par nos affiches, mais au-delà on a à proposer un monde un peu comme l’avaient fait les avant-gardes artistiques et révolutionnaires du 20e siècle. Cette envie est présente notamment en lien avec la crise écologique : comment réactualise-t-on les projets utopiques là-dedans ? On ne peut pas reprendre tels quels les projets des constructivistes1, mais il faut bien dépasser cette crise.
À part les dons d’argent au syndicat, quels sont vos liens avec l’extérieur ?
Au début, il y a eu une frilosité à ouvrir l’occupation aux extérieurs. C’était la première fois pour beaucoup et on s’est retrouvé tout de suite avec l’école en main, on voulait vraiment que cela se passe bien et qu’on commence par s’autogérer. D’ailleurs, comme moi je ne suis pas étudiant, j’ai fait attention à leur laisser la main. Maintenant, cela fait un mois qu’on a prouvé qu’on pouvait le faire et la question se pose : qu’est-ce qu’on en fait ? Il y a des gens qui disent que tant que cela ne sera pas le bordel, cela ne bougera pas, mais personne ne se sent d’aller brûler des poubelles directement, d’être à l’initiative d’une action radicale…
Mais le blocage de l’économie peut être très organisé, non ?
Oui, en fait, certainEs ont une vision réduite de la mobilisation avec ce qui se passe à Paris dans les manifs sauvages. Je sens qu’il y a une énergie assez diffuse, mais pas d’expérience militante. Spontanément, il y a une grande défiance vis-à-vis du gouvernement, une colère et une envie que cela bouge. Après cette énergie va-et-vient, dès qu’une action est proposée, ça suit, puis ça discute de faire plus. Cette semaine, ça s’est calmé, mais au premier appel, cela pourrait reprendre !
Propos recueillis par Tony NPA 72
- 1. Mouvement qui, en architecture, s’est développé en Union soviétique dans les années 1920.