Publié le Mercredi 7 mars 2018 à 16h42.

Évasion fiscale : « Ce sont de 60 à 80 milliards d’euros de recettes publiques qui sont littéralement volés par les multinationales »

Entretien avec Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, suite au procès intenté à l’association par Apple.

Le 12 février Attac était convoquée devant la justice suite à une plainte d’Apple. Peux-tu nous dire ce qu’Apple reproche à Attac ? 

Apple reprochait à Attac des « actes de vandalisme », ou des « actions ayant mis en péril la sécurité des employés et des clients » et a déposé fin décembre une assignation en référé devant le tribunal de grande instance de Paris. La multinationale tente ainsi d’empêcher toute action future dans les Apple Store. 

Attac mène en effet une mobilisation contre l’évasion fiscale massive pratiquée par les multinationales et en particulier par la plus grande d’entre elles, Apple. L’association exige le versement définitif de l’amende de 13 milliards d’euros infligée par la Commission européenne à Apple et lui demande de payer sa juste part d’impôts, dans les pays où elle exerce réellement ses activités. Pour interpeller l’opinion publique et face à l’inaction des gouvernements successifs, des militants d’Attac ont mené des actions de désobéissance civique contre les magasins Apple dans des dizaines de villes. Notamment l’Apple Store d’Opéra, grande vitrine de la multinationale en France, a été occupé quelques heures, en fanfare et dans la bonne humeur, le samedi 2 décembre 2017. C’était manifestement trop pour Apple.

Mais ce n’est pas tout : une militante d’Attac Carpentras est elle aussi poursuivie par BNP Paribas, avec un procès prévu le 7 juin. Ce qui lui est reproché ? Avoir « fauché » une chaise dans une agence avec d’autres camarades, pour dénoncer le rôle moteur de la banque dans l’évasion fiscale. Nous voilà donc poursuivis par la plus grande multinationale du monde (Apple) et la plus grande banque d’Europe (la BNP). Preuve que nos actions les dérangent vraiment.

Quels étaient les risques pour Attac ? Quel est le résultat du procès ?

Apple réclamait 150 000 euros d’astreinte en cas de nouvelle intrusion dans un ses magasins, ainsi que 3 000 euros de dédommagements. Mais le jugement du tribunal, en février, a donné raison à Attac : « La simple pénétration de militants dans l’enceinte du magasin Apple Store Opéra, ou dans d’autres magasins situés en France, sans violence, sans dégradation, et sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle, ne suffit pas à caractériser un dommage imminent justifiant de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation des militants de l’association Attac, qui agissaient conformément aux statuts de l’association, et dans le cadre d’une campagne d’intérêt général sur le paiement des impôts et l’évasion fiscale. »

Y a-t-il des suites envisagées en soutien à Attac ? 

Nous attendons sereinement un éventuel appel d’Apple. Mais surtout, nous allons consacrer notre énergie à préparer de nouvelles actions pour la justice fiscale, notamment à l’occasion de l’examen du projet de loi contre la fraude fiscale prévu avant cet été. 

Plutôt que de nous dissuader, les responsables d’Apple, en nous attaquant, nous encouragent à poursuivre nos actions de désobéissance civique pour dénoncer son évasion fiscale et celle des autres multinationales. L’évasion fiscale, ce sont de 60 à 80 milliards d’euros de recettes publiques qui manquent rien qu’en France, 60 à 80 milliards d’euros qui sont littéralement volés par les multinationales et les plus riches au reste des citoyens. C’est à peu près le montant du déficit public annuel, au nom duquel sont démantelés les services publics, est bradée la protection sociale, est abandonnée la transition écologique. C’est pourquoi à Attac, nous ne lâcherons pas cette mobilisation et nous appelons les militants associatifs, syndicaux, politiques à nous rejoindre dans nos actions.

Enfin, nous n’oublions pas tous les autres lanceurs d’alerte, journalistes, militants associatifs et syndicaux, qui sont actuellement poursuivis par des multinationales voire des paradis fiscaux, pour dissuader quiconque de les dénoncer. Nous devons chaque fois être solidaire, pour ne pas laisser s’installer le règne des procédures baillons, faisant taire toute voix trop gênante.

Propos recueillis par Joséphine Simplon