Le 2 novembre 2013 à Quimper une immense manifestation regroupant de 20 000 à 30 000 personnes donnait le La de ce que l’on a appelé « la révolte des Bonnets Rouges », une mobilisation hors du commun.
Si le port de milliers de Bonnets Rouges rappelait sans conteste l’histoire de la grande révolte paysanne en Basse Bretagne en 1675 contre les taxes seigneuriales, la lutte de 2013 s’inspire surtout des mobilisations qui ont marqué la Bretagne, comme celle de Plogoff ou celle plus récente en défense de la maternité et du service de chirurgie de l’hôpital de Carhaix en 2008.
Ce grand mouvement de lutte populaire a pris son essor contre les licenciements massifs dans l’agroalimentaire en Bretagne et en particulier dans les usines GAD, Marine-Harvest, Tilly, Doux et d’autres.
Le 15 octobre, de fortes délégations ouvrières se sont retrouvées à Brest et Morlaix pour bloquer l’aéroport et la voix express, tandis qu’une réunion publique au Glenmor (salle culturelle de Carhaix) réunissait 700 personnes, d’où est sorti un appel avec les syndicalistes de GAD, de Doux, de Marine-Harvest, du maire de Carhaix et du porte-parole du NPA (Mathieu Guillemot) pour l’immense manifestation contre les licenciements à Quimper, place de la résistance le 2 novembre.
Écotaxe et licenciements
C’est dans ce contexte qu’a surgi aussi le mouvement contre les portiques écotaxe du Finistère qui a rassemblé le samedi 26 octobre un millier de manifestants : salariéEs en lutte, agriculteurEs, dirigeants de la FDSEA, patrons routiers se sont affrontés pendant le démontage du portique aux CRS et gardes mobiles, occasionnant de nombreux blésséEs, dont un jeune homme qui a perdu sa main.
L’écotaxe issue du Grenelle de l’environnement de Borloo a été perçue comme une taxe injuste en plus d’être inefficace sur le plan écologique, même si selon les dirigeants productivistes, elle n’était nullement responsable de la « crise de l’agroalimentaire ».
Si ces portiques ont focalisé symboliquement la révolte et la colère d’une bonne partie de la population, les salariéEs mis au chômage et à la porte avec des indemnités de misère étaient d’abord les victimes des capitalistes de l’agroalimentaire ; prédateurs des emplois, de la petite paysannerie, de la qualité des produits et de l’environnement... Alors même que déjà le gouvernement Hollande-Ayrault s’entêtait sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le cumul de l’écotaxe et des milliers de licenciements ont produit la révolte populaire, unitaire, certes pas chimiquement pure, mais déterminée à renverser le cours des choses : « Il faudra bien lors de la grande manifestation du 2 novembre à Quimper affirmer haut et fort l’unité ouvrière et paysanne contre les licenciements et pour une agriculture paysanne de qualité, respectueuse des femmes, des hommes et de la terre. Dire haut et fort que nous n’avons pas les mêmes intérêts que les partons de l’agro et les dirigeants de la FDSEA », disait le communiqué d’appel du NPA29.
Contre l’union sacrée
Dès le début, le NPA29 (de Carhaix à Quimper, de Brest à Morlaix) avec Philippe Poutou, présent lors de la grande manifestation, s’est engagé de plain-pied dans ce mouvement « hors du commun », au travers du collectif pour l’emploi de Carhaix « Vivre et travailler au Pays » et du collectif unitaire de Quimper avec ATTAC, les Alternatifs, des syndicalistes de SUD, des membres du Front de Gauche, Breizhistance, et « pour en finir avec les plans de licenciements, pour une alternative au capitalisme et au productivisme ».
Naturellement, ce mouvement très populaire n’était pas chimiquement pur, il était confus, fragile mais déterminé. Il fallait en être pour l’influencer dans le sens de l’indépendance de classe, pour le nourrir de revendications comme « l’ouverture des livres de comptes », « l’interdiction des licenciements », « la suspension des plan sociaux », et « la réquisition des sites qui licencient » mais aussi en lien avec les paysanNEs « pour un autre modèle agricole et agroalimentaire ».
Il fallait en être pour apprendre aussi de ce mouvement, de ce souhait profond de « vivre, décider et travailler en Bretagne ». Manifester à Quimper, cela signifiait disputer le terrain à la droite et à l’extrême droite, combattre ses tentatives de récupération, encouragées par la reculade du gouvernement sur l’écotaxe et nourrie par le manque de riposte syndicale convergente à la déferlante des licenciements.
Construire un pôle ouvrier combatif
Alors même que les directions syndicales majoritaires, mais aussi le PCF, le PS et EÉLV s’exilaient à Carhaix ce 2 novembre, à 70 km de Quimper et critiquaient mensongèrement à moins de 3 000 la formidable manifestation de Quimper, nous nous sommes employés à construire ce pôle ouvrier. En plus d’être présent à Quimper, celui-ci fut visible de nouveau à Carhaix le 30 novembre et en soutien aux luttes dures des ouvrières et ouvriers de chez GAD, de Doux, de Tilly et de Marine-Harvest.
Ce pôle ouvrier, constitué de syndiquéEs de « FO et CGT principalement » mais aussi des syndiquéEs de Sud, de non-syndiquéEs, des salariéEs des usines frappées par les licenciements et soutenus par la CGT, des marins du Grand-Ouest, du SLB (Sindikad Labourerien Breizh), du NPA et de Breizhistance, a montré la voix qu’aurait dû prendre l’ensemble du mouvement ouvrier et paysan pour gagner....
Hélas, les directions régionales CGT et CFDT non contentes de vilipender les salariéEs qui se « fourvoyaient » dans le mouvement des Bonnets Rouges se sont empressées de signer le pacte d’avenir gouvernemental au nom du « dialogue social » qui commençait, lui, par valider les licenciements passés et en cours.... Tout comme d’ailleurs la majorité PS/PC du Conseil régional.
Le mouvement s’est éteint, les blessures furent profondes. Pourtant, comment ne pas espérer quand quelques années après ont surgi les Gilets Jaunes et cette envie toujours présente de renverser la table et de lutter pour un autre monde et un avenir meilleur ?
Voir nos articles :
Quimper : une révolte bretonne, 24 novembre 2013
Bretagne : une reprise en main dérisoire, 28 novembre 2013
Bretagne : ce n’est qu’un début…, 5 décembre 2013
De la colère à la résistance ouvrière et à l’auto-organisation, janvier 2014