Depuis le 19 novembre dernier, les éducateurs et éducatrices de rue de l’ADPS 44 sont en grève reconductible. Travaillant sous tension, iels souffrent d’un manque criant de reconnaissance sociale et salariale, à l’image de toute une profession et d’un secteur qui ne trouve pas grâce auprès des décideurs politiques et de leurs relais. Ces derniers préfèrent en effet, à la remise en question systémique, le zèle de l’autoritarisme budgétaire et l’introduction de techniques managériales de plus en plus toxiques. Les professionnelLES du secteur voient ainsi leurs métiers attaqués et les personnes qu’iels accompagnent sombrer de plus en plus dans l’exclusion et la précarité.
Entretien avec Julien Menec, éduc de rue à l’ADPS 44 et délégué syndical SUD santé-sociaux
Bonjour à toi, peux-tu nous dire ce qu’est un éduc de rue ?
C’est le mot commun pour qualifier la prévention spécialisée, un métier de l’éducation spécialisée qui s’inscrit essentiellement dans les quartiers populaires où l’on retrouve des problématiques spécifiques comme la précarité et la disparition de nombreux services publics. Dans ces quartiers, les formes d’exclusions sociales s’accentuent de plus en plus. Nous travaillons particulièrement avec les jeunes de 11 à 25 ans afin qu’iels évitent ces situations d’exclusion. Il s’agit pour nous de créer du lien, d’orienter les jeunes et de les accompagner dans leur projet individuel et collectif. Nous essayons de leur donner confiance en eux et nous soutenons aussi leurs familles dans les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien.
On dit « éduc de rue » car la majorité de notre activité se passe dans la rue, au sens où nous sommes souvent dehors dans l’espace public à la rencontre des habitants du quartier. Nous essayons d’être visibles, reconnuEs et dignes de confiance. Nous travaillons enfin à mettre en lien ces jeunes avec les différents partenaires et professionnelLEs afin de créer des dynamiques qui agissent dans le même sens.
Comment évolue le métier ?
Notre travail évolue négativement au fil des années. Aujourd’hui, nous sommes spécifiquement victimes d’un management toxique. Cela se traduit par une perte de savoir-faire des cadres, qui sont de plus en plus éloignéEs de la question éducative et de la prévention spécialisée, totalement déconnectéEs de nos principes premiers, qui sont la libre adhésion, l’anonymat et la non institutionnalisation (le fait que nous avons vocation à nous effacer dans les actions que nous portons pour passer le relais aux institutions déjà en place).
Aujourd’hui, notre direction nous considère comme des médiateurs sociaux en nous plaçant sur des moments de vie du quartier avec des missions de tranquillité publique et de régulation des problèmes. Ce n’est pas notre métier, qui s’inscrit, lui, dans le cadre de la protection de l’enfance. Notre métier, c’est d’accompagner les jeunes et les familles en difficulté.
Nous perdons également certains outils de travail. Auparavant, nous avions par exemple de nombreuses commissions qui travaillaient sur des thématiques spécifiques (par exemple commission public féminin, commission justice, commission pouvoir d’agir). Elles nous permettaient de réfléchir en équipe et de mieux accompagner les jeunes au quotidien. La direction nous a retiré cela du jour au lendemain sans explication. Les moyens financiers ont également diminué, ce qui restreint fortement les actions et les projets.
Qu’en est-il de l’évolution de vos conditions de travail ?
Elles sont de plus en plus dégradées, du fait de ce qui a été dit précédemment. On touche là le point de départ de notre mouvement de lutte actuel. Le mécontentement a pris sa source à la création du GIP en 2012, le Groupement d’Intérêt Public. On nous promettait des hausses de salaire en passant du privé à la fonction publique. On nous a menti.
Aujourd’hui, la direction veut nous imposer une diminution de quatre semaines de congés payés. Avant 2012, nous relevions du secteur associatif et de la convention 66, qui est la seule à prendre en compte véritablement le métier d’éducateur spécialisé. Elle présente des avantages conquis de longues luttes, dont des congés spécifiques qui permettent de se reposer pour être disponible psychiquement à accompagner des jeunes en difficulté. Et ça, nous l’avons perdu. De plus, nous sommes les éducs les moins bien rémunéréES de Loire-Atlantique, car en dessous de ce qui est prévu par la convention 66. La direction veut également conditionner les éventuelleS augmentations salariales à des évaluations triannuelles individuelles effectuées par nos chefs de service. Nous avons enfin perdu notre remboursement de mutuelle, nos congés d’ancienneté, la valorisation du travail des week-ends et des jours fériés, ainsi que des droits à la formation.
Trop, c’est trop. Le mot d’ordre de notre direction, c’est : travailler plus pour gagner moins, et rester sages. C’est hors de question.
Face à cela, quelles sont vos revendications ?
Il y a trois revendications principales : l’augmentation de nos salaires, l’abrogation de la perte des quatre semaines de congés, donc un retour à la convention 66, et enfin la fin du management toxique.
Cela fait bientôt quatre semaines que vous êtes en grève, comment se positionne la direction vis-à-vis de votre mouvement ?
Nous les avons rencontrés une première fois le 19 novembre après de nombreuses tentatives. Cela n’a pas été un temps de négociation, car iels ont directement et explicitement refusé toutes nos revendications. À partir de ce moment-là, nous sommes partiES en grève reconductible. Nous les avons rencontrés une nouvelle fois le 3 décembre, au bout de trois semaines de grève, sans rien obtenir de plus, si ce n’est la vague promesse d’une augmentation de 20 à 50 euros par mois, et encore pas pour tout le monde. De plus, nous nous sommes aperçuES que les différents décideurs n’avaient pas échangé sur notre situation et ne connaissaient pas les éléments du dossier. Un mépris total. Ces personnes n’ont aucune considération pour des salariéEs qui ne sont plus payéEs depuis plus de trois semaines, ni pour des jeunes et leurs familles qui s’interrogent, s’inquiètent de notre absence, ainsi que de l’arrêt de leurs projets en cours.
Comment êtes-vous organiséEs et quel est le rôle des syndicats ?
Nous sommes représentéEs par SUD santé sociaux et par la CGT protection de l’enfance. Leur rôle a été d’impulser et d’animer le mouvement de grève. C’est nouveau que des éducs s’engagent dans une grève aussi longue, ce n’est pas dans les habitudes du secteur. Nous avons eu des difficultés à nous lancer dans une grève longue. Cela a un peu tâtonné. Si les syndicats ont beaucoup porté le mouvement au départ et amené des outils, le mouvement s’est transformé par l’autogestion et a dépassé le cadre syndical. Nous avons mis en place trois commissions. Une commission action qui réfléchit à tous les endroits où nous pourrions nous rendre en fonction de leurs intérêts symboliques et politiques. Une commission logistique autour de la caisse de grève et de l’organisation des repas. Une commission communication qui s’occupe des communiqués de presse et des contacts avec les politiques, la presse et les partenaires.
Nous nous sommes très vite renduEs compte qu’en étant ensemble au quotidien, en travaillant toustes ensemble sur la mobilisation, nous avions envie que cela dure et que notre organisation en autogestion était vraiment satisfaisante, autrement plus adaptée que l’encadrement toxique de nos chefs de service lorsque nous sommes au travail.
Ce qui est important, c’est qu’aujourd’hui la grève continue et que nous pouvons tenir plus longtemps. Ceci parce que nous sommes uniEs, que nous avons des assemblées générales quotidiennes pour décider démocratiquement de la direction à donner au mouvement, et surtout parce que nous recevons beaucoup de soutien moral et financier (caisse de grève, caisse syndicale et événements festifs). Il faut que cela continue !!!
Votre financeur principal reste le département (95 %). La municipalité (5 %) pourrait-elle s’impliquer plus ? Avez-vous interpellé les différents partis politiques sur votre situation ?
Quand nous avons réalisé que notre direction s’enfermait dans le déni et le refus, le contexte des élections municipales à venir nous est apparu comme une opportunité à saisir. Nous avons fait le tour des partis politiques dits « de gauche » : PS, écologistes, PC, l’Après, LFI et NPA. Ils se sont tous engagés à nous soutenir (augmentation du budget, des salaires avec passage en association et convention 66). Néanmoins, le Parti socialiste est resté longtemps injoignable. Lorsque finalement nous avons pu les rencontrer, ils ont mis sur la table une proposition fantoche, totalement déconnectée des missions de l’ADPS et de nos revendications : la création d’une équipe au centre-ville, qui en fait existe déjà. Depuis, le PS a échangé avec son partenaire écologiste et semble avoir fait évoluer sa position. Nous restons dans l’expectative, mais déterminéES et pleinES d’espoir.
Lien pour donner à la caisse de grève ADPS 44 : https://www.onparticipe.fr/c/RcNbNmrm