Publié le Vendredi 21 mars 2014 à 12h25.

Marc Blondel : avant tout, la continuité de FO

Marc Blondel ancien secrétaire général de Force ouvrière est décédé le 16 mars dernier. Un concert d’éloges s’est levé de tous les côtés, de la droite à la gauche.  On se souvient de Marc Blondel dans les manifestations de 1995 serrant publiquement la main de Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, alors que depuis que la scission de 1947 les contacts officiels entre directions de FO et de la CGT étaient moins que chaleureux. Marc Blondel était cependant avant tout le produit et l’agent d’une continuité : celle de la confédération Force ouvrière.

La CGT-FO (c’est sa dénomination officielle) est née en décembre 1947 d’une opération de scission de la CGT soutenue par des fonds américains : on était en pleine guerre froide et, pour les Américains, affaiblir une puissante centrale syndicale liée au parti communiste était un enjeu important.  Cette opération s’est appuyée sur des dirigeants syndicaux souvent liés au parti socialiste de l’époque. A ce noyau primitif, se sont ajoutées deux composantes. D’abord des  éléments idéologiquement plus à droite. Ensuite des militants anarcho-syndicalistes et trotskystes poussés hors de la CGT. Le sectarisme de la CGT, étroitement  inféodée,  à l’époque à la direction stalinienne du PCF a en effet favorisé le développement de FO  qui pouvait apparaître comme un lieu de « liberté », à côté de la CGT et de la CFTC encore marquée par son origine catholique. 

Ces trois composantes des origines, toujours présentes dans FO, avaient comme point commun, outre une appartenance fréquente de leurs dirigeants à la franc-maçonnerie,  une opposition frontale au PCF et à la CGT, par anticommunisme pour les plus nombreux, par anti-stalinisme pour une minorité de gauche. La politique globale de FO était de se mettre en position d’interlocuteur privilégié du patronat : même si son implantation dans le privé était limitée, sa propension à signer sans guère rechigner des accords à tous les niveaux avait comme contrepartie, grâce au soutien patronal,  un position-clef dans les conseils d’administration des organismes sociaux (Sécurité sociale, UNEDIC). Il existait cependant des syndicats FO combatifs animés souvent par des militants d’extrême-gauche. Arlette Laguiller était ainsi militante de FO au Crédit Lyonnais. Les militants de Lutte ouvrière  présents dans FO, à la suite  en général d’une exclusion de la CGT, ne s’engageaient en rien dans les manœuvres d’appareil. Il n’en était pas de même des trotskystes « lambertistes », qui forment l’actuel POI et  qui ont acquis une influence non négligeable dans diverses structures de FO, jusqu’au niveau confédéral. Influence assise sur des dirigeants qui n’apparaissent pas forcément comme ouvertement liés à ce courant.

Une nouvelle étape pour FO

C’est cette histoire qu’il faut avoir en-tête quand on évoque Marc Blondel. Celui-ci devint secrétaire général de FO en 1989. Il succède à André Bergeron qui occupait le poste depuis 1963. Bergeron, toujours prêt à sortir son stylo pour signer un accord,  était l’incarnation même du syndicalisme de collaboration de classes ouverte.  Au congrès de 1989, Marc Blondel n’était pas son candidat. Blondel y défendit un« syndicalisme de la contestation » face à ce qu'il appelait le « syndicalisme d'accompagnement »

En fait, Blondel représente une tentative de changement dans la continuité. Le mur de Berlin est tombé. En 1964, la CFDT est née abandonnant la référence catholique, et en 1978, elle fait un tournant à droite (« recentrage »). Blondel comprend que les temps ont changé, que « le grain à moudre » (une expression de Bergeron) se raréfie et que la CFDT représente désormais un concurrent dans les bonnes grâces du patronat. Lors de son élection initiale, par une majorité assez étroite, il a bénéficié du soutien « lambertiste». Il s’oppose donc aux réformes Juppé de 1995 et à la réforme de retraites de 2003. Mais, en fait, sous Blondel, beaucoup de structures de FO, notamment dans la métallurgie, ne rompent pas avec leur pratique traditionnelle et la direction de FO s’en accommode parfaitement. La combativité de Blondel était en réalité -en dehors de 1995 et 2003- une combativité du verbe plus que de l’action. Et sur ces deux périodes, il y aurait aussi à revenir sur l’attitude concrète des structures FO.

Son style « à l’ancienne » tranchait avec le ton ronronnant de plus en plus adopté par des dirigeants syndicaux et d’autres politiques. Il a eu parfois des dérapages, notamment celui sexiste à l’égard de Nicole Notat (celle-ci a honteusement trahi le mouvement de 1995 mais la polémique ne justifie pas n’importe quelle formule). Si, comme son prédécesseur, il était membre du PS,  il maintenait de bonnes relations avec le courant lambertiste et avec Pierre Lambert, lui-même. Ce qui ne l’empêchait pas de bien s’entendre avec Chirac. Enfin, dernièrement, le syndicaliste à la retraite avait rejoint le comité de soutien de Anne Hidalgo, candidate PS à la mairie de Paris (il y avait retrouvé Bernard Thibault…).  Réélu à une majorité écrasante lors des congrès de  1992, 1996, et 2000, (il ne s’est pas représenté en 2004), sa capacité à marquer le débat social n’avait pas enrayé  un certain déclin de FO, visible notamment  dans ses résultats aux élections prudhommales.

Résultats des élections prud’homales (%)

Organisations syndicales

1987

1992

1997

2002

2008

CGT

36,35

33,35

33,11

32,13

34,00 %

CFDT

23,06

23,81

25,35

25,23

21,81 %

CGT-FO

20,50

20,46

20,55

18,28

15,81 %

 

Henri Wilno