Publié le Samedi 14 mai 2011 à 13h10.

Regards. La Maison de Vessy : seule la grève est vraie !

Après une suspension de quinze jours pour négocier, la grève a repris à la Maison de Vessy, EMS1 de la campagne genevoise. À plusieurs titres, c’est une grève emblématique. Et exemplaire ! Entretien avec Thierry Daviaud2, l’un de ses principaux animateurs, délégué du SSP-vpod.Pourquoi cette grève ?La décision de la direction de Vessy de nous faire payer les places de parking3 a mis le feu aux poudres. Mais au-delà du refus de cette avanie – une ponction sur les salaires camouflée en souci environnemental –, c’est la place des salariés dans l’entreprise qui est posée par la grève. C’est un personnel humilié, nié dans son existence, qui devient protagoniste sur le lieu de travail. Contre la sauvagerie managériale, c’est par la grève qu’on existe. En clair, cela signifie ?Tu sais, faire grève n’est pas si simple. C’est chargé d’angoisse. Mais à un moment, on n’en peut plus. En tant que salarié tu n’as plus le droit d’avoir un corps qui souffre, d’être malade : immédiatement tu es soupçonné de tricher. Récemment, une collègue s’est évanouie au boulot. On a dû la transférer en ambulance à l’hôpital. Pendant son arrêt de travail, le chef l’a soupçonnée d’avoir simulé et l’a envoyée devant le médecin conseil ! Ta vie privée, ta santé ne comptent pas. Seule compte ta disponibilité pour la boîte. Et puis, il y a la schizophrénie que nous impose notre employeur : on veut offrir un service public de qualité mais les moyens manquent. Nous, on trime pendant que nos cadres sup’ réfléchissent en séminaire dans les bulles d’Ovronnaz… Mais pourquoi maintenant ?Il y a la combinaison entre la question des parkings – on vient tous de loin, à 20, 30 ou 40 km d’ici – et le travail de présence syndicale durant des années. Ici, les salariées – il s’agit d’une majorité de femmes – ont compris que le respect est un droit et qu’on peut se révolter si on ne se sent pas respecté. Mais la grève n’aurait pas été possible sans le travail des délégués syndicaux. AG après AG, on a donné au personnel les outils pour comprendre sa situation, pour capter qu’on peut s’opposer à l’autorité, au patron. Cela a ouvert le champ du possible. Et là, avec la grève, il y a aussi un aspect de revanche sociale très fort : pour nous, grévistes, c’est l’occasion, une fois dans la vie, de se payer un patron ! Cela dit, la grève reste minoritaire…Oui, mais tiens compte du contexte de terreur imposé par la direction. Elle a appelé les gens chez eux, les menaçant de licenciement. Des plaintes pénales ont été déposées. Le climat est tel que les non-grévistes n’osent pas nous adresser la parole. Et quand on sait que la plupart des gens bénéficient de contrats à durée déterminée, on peut comprendre qu’ils aient le trouillomètre à zéro. Le non-respect par l’État de ses propres règlements – la transformation des CDD en CDI – nous précarise salement : c’est un moyen pour nous soumettre. Or, par la grève, même minoritaire, nous prenons la mesure de notre force au-delà des divisions. Tu veux parler des frontaliers ?Tu vois, la grève permet de cerner les enjeux, de ne pas se tromper d’ennemi. Ici, la majorité habite le canton, mais c’est la volonté commune de déboulonner le patron qui nous unit, quels que soient nos statuts, nationalités ou le côté de la frontière où l’on habite. C’est à travers la grève que nous nous constituons en classe.D’un coup, tout va très vite ?Toutes ces heures à discuter avec l’un ou l’autre : c’était souvent désespérant. Et puis, soudain, voilà la grève, un révélateur absolu. Elle fait tomber les masques. Des aides-soignantes font grève pour se faire respecter. Le patron, lui, il envoie les flics ! Tout devient clair. Désormais, il y aura un avant et un après la grève. Avant, le patron pouvait se la jouer paternaliste, humain. La grève l’a révélé pour ce qu’il est. Et il ne pourra désormais plus faire le bon et le mauvais temps, parce que la grève ça aura été aussi l’irruption du personnel dans les affaires de l’entreprise. Propos recueillis par Paolo Gilardi1. Établissement médico-social accueillant des personnes âgées.2. Travailleur frontalier, Thierry Daviaud est aussi membre actif du NPA. Le SSP-vpod est le syndicat suisse des services publics. 3. Les grévistes refusent de payer 60 euros par mois pour pouvoir se parquer en rase campagne à un endroit très mal desservi par les transports publics. Elles exigent la reconnaissance du syndicat des services publics, le SSP-vpod, comme organisation représentative du personnel, de bénéficier des mêmes indemnités que les autres travailleuses de la santé : prime de gériatrie et pour horaires atypiques. Par ailleurs, les déléguées « de gauche », à savoir membres du PS, des Verts et de solidaritéS dans le conseil d’administration de cet établissement public se sont oposées aux revendications des grévistes et, alors que la grève a commencé le 7 mars, leurs partis ont enfin décidé de soutenir les grévistes : le PS le 29 avril, les Verts le 1er mai et solidaritéS, le 5 mai.