Annoncé à grand renfort de médias, le sommet social du 18 janvier a été transformé à l’occasion de la perte du AAA en sommet de crise par Sarkozy. Transformation bienvenue pour le futur candidat UMP qui entend renforcer l’idée de la nécessité d’un rassemblement national contre la crise. Sans la moindre hésitation, les cinq confédérations « représentatives », CFDT, CFTC, CGC, CGT et FO, se sont prêtées, en compagnie des organisations patronales, à cette nouvelle opération de brouillage des cartes et des responsabilités.
Pour le gouvernement, la stratégie est simple : associer les syndicats au constat et faire semblant d’ouvrir le débat sur les « solutions ». Ce schéma est à l’œuvre depuis la mise en place du Conseil d’orientation des retraites (COR) en 2000, sous le gouvernement Jospin suivi du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie qui aboutit en 2004 au « diagnostic partagé » par les représentants des centrales syndicales, du patronat, des parlementaires et des professionnels de santé. Le chef de l’État a remis le couvert en novembre avec la constitution d’un Haut Conseil du financement de la protection sociale. « Nous devons repenser le financement de notre système social. Toujours plus de dépenses pour toujours plus d’impôts, c’est une impasse, car les impôts reposent sur la France qui travaille. Le coût très élevé du travail pénalise notre économie », a-t-il estimé. La vocation du Haut Conseil, qui associera les partenaires sociaux, est de proposer une réforme du financement de notre système social. Il apportera « de la sérénité, du sérieux et de l’objectivité » à ce débat.
Ainsi le piège se referme-t-il sur les organisations syndicales maintenant sommées de faire des propositions marquées du sceau « de la sérénité, du sérieux et de l’objectivité ». À partir de là, les confédérations jouent des partitions différentes. En juin dernier, un document de 50 pages intitulé « Approche de la compétitivité française » était cosigné par le patronat et trois organisations syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC). La CGT a refusé de participer au groupe de travail et FO de signer le document final. Le préambule est aussi clair qu’inquiétant, puisqu’il s’agit de « dépasser les approches idéologiques » et de reconnaître « l’importance de la compétitivité ». Les solutions ne diffèrent guère de celle de l’UMP/Parisot : il faut « repenser l’assiette du financement de la protection sociale » car « le taux de prélèvements sur le travail peut rester un frein au développement de l’emploi et à l’amélioration de la compétitivité des entreprises, malgré les dispositifs d’allègement mis en œuvre depuis près de 20 ans ». Et encore : « Un vrai débat sur les modes de financement de la protection sociale est également à engager. Une réflexion approfondie et globale sur une nouvelle répartition entre ce qui doit être payé par la solidarité nationale (l’impôt) et ce qui doit être pris en charge par la solidarité professionnelle (les cotisations sociales), constituerait sans doute une méthode à explorer ». Si tout cela est bien dans la ligne de la CFDT depuis des années, il est plus inquiétant que la direction confédérale CGT débatte d’accepter la CSG et le maintien de la Loi de financement de la Sécurité sociale et n’ait plus d’opposition de principe à ce qu’une part de financement de la protection sociale provienne de l’impôt.
La « sortie » de la crise imaginée par la bourgeoisie passe par des défaites, des reculs majeurs pour les travailleurEs et la population. L’accompagnement de ces reculs par les organisations syndicales est déjà acquis en Allemagne, en Grèce et en Espagne voire en Italie. En France, la force du mouvement social, visible lors du mouvement sur les retraites de 2010 ou des multiples luttes et mobilisations qui perdurent même dans le contexte préélectoral peuvent imposer une autre forme à la bataille contre la chute vers la précarité et la pauvreté.
Robert Pelletier