Le 20 octobre 2006, Antonio de B. s’est suicidé en se jetant par la fenêtre du 5e étage du bâtiment principal du Technocentre Renault à Guyancourt (Yvelines). Le lien avec le travail paraissait évident : participant à plusieurs projets importants du constructeur, cet ingénieur était depuis plusieurs mois accablé de travail et au bord de la dépression. Difficultés pour s’alimenter, perte de poids, insomnies, crises de larmes ne pouvaient passer inaperçues aux yeux de sa hiérarchie. Ses horaires de travail, durant les deux derniers mois avant son décès, avoisinaient les 95 heures par semaine et environ 70 heures depuis début 2006. L’acte, commis sur le lieu et le temps de travail, aurait dû être automatiquement reconnu comme accident de travail. C’était sans compter sans l’attitude odieuse des sbires de Ghosn : pas ou peu de compassion, obstacles au souhait de sa femme de récupérer les affaires de son époux et une insinuation honteuse selon laquelle leur couple semblait traverser des difficultés quelque temps avant le suicide d’Antonio.
Pas regardante, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) se ralliait à l’avis de Renault et refusait en janvier 2007 de reconnaître l’évidence de l’accident du travail. Sous la pression de l’indignation soulevée par cette décision, le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass), saisi par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), renversait la situation en reconnaissant le suicide comme accident du travail en octobre 2009. Enfin, une première reconnaissance était accordée à la famille, aux collègues.
Mais Renault refusait cette décision et faisait appel. C’est ainsi que la cour d’appel de Versailles vient à la fois confirmer cette reconnaissance du suicide causé par le travail, mais va encore plus loin en affirmant que Renault a commis une « faute inexcusable ». Renault est reconnu coupable d’avoir mis en place l’organisation du travail et le fonctionnement hiérarchique responsables de cette situation, d’avoir eu connaissance de la situation d’Antonio et de n’avoir rien fait pour y remédier. L’avocate de Renault a osé plaider que le salarié n’avait pas été « exposé à un risque ni dans sa charge de travail, ni dans son rapport avec sa hiérarchie, ni dans son évolution de carrière ».
C’est ainsi que Carlos Ghosn qui se plaisait à se faire appeler le « cost killer » (tueur de coût) est ainsi devenu le responsable d’une organisation du travail assassine. Ce suicide s’est inscrit dans une série sinistre notamment chez Renault et à France Télécom. Mais rien n’a vraiment changé depuis, malgré la sinistre plaisanterie de la négociation obligatoire sur les risques psychosociaux vide de toute analyse des causes réelles des pressions auxquelles sont soumis les salariés et encore plus dénuée de tout commencement d’amélioration des conditions de travail. La recherche de la productivité, du profit maximum est la seule responsable des surcharges de travail, de la culpabilisation des salariés en difficulté face à une hiérarchie qui lie l’incompétence professionnelle à l’aplatissement devant les sinistres rengaines du toujours plus d’efficience.
Plus que jamais le travail tue. Mais gageons qu’au moins ce jugement fera réagir les salariés. Et pourquoi pas certains patrons. Et au moins ces crimes resteront peut-être moins impunis. Mais bien sûr, ceci ne doit pas faire oublier la volonté, la ténacité et le courage dont doivent faire preuve les familles qui, pendant des années, s’obligent à revenir sur ces faits dramatiques. Une victoire, bien sûr, mais une souffrance qui demeure.
Robert Pelletier