Publié le Jeudi 16 février 2012 à 20h02.

Suicides au ministère du travail : ça suffit !

Trois semaines après le suicide de Romain Lecoustre, inspecteur du travail de 32 ans, les agents du ministère du Travail et de l’Emploi (inspection du travail et services de l’emploi) se sont massivement mobilisés le 7 février 2012. La grève, appelée par l’intersyndicale nationale, a été très suivie, avec des taux de 70 % dans certains départements. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes (200 personnes à Lyon notamment).À Paris, 500 agents, dont certains venus de province, ont défilé du ministère, rue de Grenelle, à la tour Mirabeau, quai de Javel, où se tenait un CHSCT ministériel. Le ministère du Dialogue social avait prévu un comité d’accueil, gardes mobiles et gaz lacrymogènes, pour empêcher les agents de se réunir en assemblée générale. Malgré le froid, ils ont tenu bon pendant trois heures et forcé l’administration à ouvrir une salle. Les directeurs ont dû se réfugier au PC de sécurité et Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, a dû venir s’expliquer, avant de repartir sous les huées. Mort du travailLe suicide de Romain, qui avait déjà fait une première tentative en juillet 2011, intervient huit mois après celui de Luc Béal-Rainaldy, dans les locaux même du ministère, qui avait déjà entraîné une mobilisation massive des agents.

Romain, titularisé inspecteur du travail à Arras (Pas-de-Calais) en mars 2010, a mis fin à ses jours après de longs mois de souffrance résultant d’une surcharge de travail, d’un manque de moyens et d’effectifs et des agissements d’une hiérarchie harcelante et obsédée par ses objectifs chiffrés.

À peine sorti de formation, il a dû partager avec un jeune collègue la charge de cinq sections d’inspection du travail du fait du sous-effectif, et acheter lui-même livres et matériel pour travailler. Il a dû constamment se justifier devant sa hiérarchie qui lui reprochait de ne pas en faire assez ou de faire diminuer la moyenne des chiffres du département. Puis affronter, après sa première tentative de suicide, une enquête de l’inspection générale des affaires sociales (Igas, les bœuf-carottes du ministère), dépêchée sur place pour toute réponse aux alertes de Romain lui-même, qui avait demandé à changer de service dès mai 2011, du médecin du travail, qui alertait dès 2010 de la dégradation des conditions de travail et niveau de risque psycho-­social élevé, et des syndicats de la région. Cynisme sans borneNeuf suicides et douze tentatives en quelques années ne semblent pas concerner les responsables d’un ministère social dont les fonctionnaires subissent les effets des politiques de casse du service public et leurs avatars (LOLF, RGPP, primes au mérite, objectifs chiffrés, entretiens d’évaluation, injonctions contradictoires), et constatent chaque jour les dégâts et le désespoir provoqués dans les entreprises par l’offensive patronale contre les acquis sociaux. Le contenu même de leur travail en est profondément bouleversé.

L’administration fait preuve d’un jusqu’au-boutisme et d’un cynisme sans borne. Elle refuse de dire que les suicides de Luc et de Romain sont imputables au travail et exige, pour celui de Romain, une enquête alors que les faits l’accablent. Elle ignore les doléances des agents, recueillies après le suicide de Luc, et, comme si de rien n’était, déroule ses objectifs chiffrés dans les réunions de service et demande aux inspecteurs et contrôleurs du travail de donner la priorité en 2012 aux actions de contrôle des risques psycho-sociaux dans les entreprises. Elle accentue la pression en qualifiant les actions de résistance des agents de « dérives comportementales » et en envisageant des retenues sur salaire. Intervenir serait de toute façon donner raison à ce que tout le monde dénonce : l’organisation du travail mise en place tue. Justice et dignitéPour le moment, l’administration fait le dos rond. Elle a annoncé quelques mesurettes sans rien remettre en cause et attend que ça se passe. L’intersyndicale devait se réunir cette semaine pour discuter des suites.

Dans les organisations syndicales où ils sont actifs, les militants du NPA défendent, avec d’autres, l’organisation d’une journée de grève d’ici un mois, pour ne pas faire retomber la pression, et la perspective d’états généraux des services capables de faire un lien avec d’autres luttes sectorielles. Nous cherchons également à porter une critique radicale de l’organisation du travail que nous subissons, dans laquelle ne sont pas solubles la souffrance au travail et les recettes managériales prétendant la combattre.

La mobilisation est incontestablement montée d’un cran, certes en raison d’un nouvel événement tragique. Mais elle marque une détermination des agents à ce que justice soit faite pour Romain, Luc et les autres, à marquer leur dignité, à ne pas se laisser détruire, à obtenir des victoires.

Comité NPA inspection du travail-emploi Île-de-France