Publié le Lundi 13 avril 2020 à 16h00.

Travailleurs de la santé, mouvement ultra du foot : united we stand !

La crise historique dans laquelle nous plongent la pandémie du Covid-19 et sa gestion libérale, autoritaire et meurtrière par les différents gouvernements, n’est pas génératrice, loin s’en faut, que de repli sur soi (qu’il soit physique et contraint, vu le confinement, ou idéologique et individualiste, par l’adoption d’idées complotistes, racistes ou violentes). On assiste à de très importants phénomènes de solidarité. Que ce soit à l’échelle des quartiers par l’entraide envers les personnes fragiles, malades ou isolées, ou de manière plus large par le soutien massif et concret dont bénéficie le personnel soignant, laissé à l’abandon, en première ligne, par les pouvoirs politiques et économiques. Cette solidarité est le produit d’une prise de conscience politique accélérée par la crise, conscience elle-même en progrès grâce aux grandes luttes sociales de ces derniers mois.

Parmi les phénomènes notables – et en partie surprenants au premier abord, même si en creusant, on se rend compte qu’ils sont le fait de lointaines pratiques parfois oubliées –, parmi ces phénomènes donc, celui mené depuis trois semaines par les supporters des clubs de foot. Et en particulier par le mouvement ultra qui est la frange la plus engagée et active d’entre eux.

Banderole des ultras du Rayo Vallecano à Madrid : Seul le peuple sauve le peuple / Travailleurs de la santé / Vous êtes notre fierté / Bon courage ! 

 

On a ainsi pu voir, dès le début de la crise du covid en Espagne, les ultras du Rayo Vallecano (petit club du quartier ouvrier de Vallecas, à Madrid) accrocher une banderole de soutien au personnel soignant devant un hôpital de la capitale, bientôt imités par le CUP (Collectif Ultra Paris, supporters du PSG) faisant de même devant la Pitié-Salpêtrière.

En Italie, dans le pays le plus touché d’Europe par le covid, c’est une mobilisation générale des supporters de foot et de basket qui est en cours. Des centaines de milliers d’euros y ont été déjà été reversés au personnel soignant, ou utilisés pour leur acheter du matériel et de la nourriture à travers une multitude d’initiatives de base : collectes en ligne, reversement du montant des abonnements et des billets remboursés par les clubs suite à l’interruption des compétitions, campagnes sur les réseaux sociaux pour faire jouer la solidarité – le confinement complet limitant drastiquement les déplacements physiques. La mobilisation est telle qu’elle a même forcé les clubs et leurs entreprises sponsors, pourtant guère portés sur la philanthropie (et c’est peu de le dire) à y participer en donnant de l’argent aux hospitalierEs.

En France, on assiste aussi à la mise en mouvement des ultras. Les initiatives originales fleurissent. À Lens, ville emblématique du pays minier, les supporters ont fait don de tout le matériel qu’ils ont pu récolter (couvertures, livres, bois de construction, jouets, tapis, vêtements, nourriture) pour permettre aux travailleurs et travailleuses de l’hôpital de construire en urgence une crèche pour leurs enfants. La solidarité financière et matérielle est en œuvre de Toulouse à Saint-Étienne, en passant par Paris, Dijon, Marseille, Saint-Ouen, Rennes, Grenoble, Montpellier, Orléans…

À Saint-Ouen, les supporters du Red Star, connus pour leur antifascisme et leur anticapitalisme, ont mis en ligne une cagnotte de soutien à l’hôpital de Saint-Denis qui a permis de récolter près de 5 000 euros.

Du côté des ultras du PSG, c’est une distribution quotidienne de nourriture sur une quinzaine d’hôpitaux de Paris et d’autres régions, financée par une souscription en ligne, auxquelles s’ajoutent des maraudes de rue pour aider sans-abris et personnes migrantes, particulièrement vulnérables face au covid.

Une telle mobilisation de la part d’un milieu social au mieux ignoré, au pire souvent dénigré par la gauche révolutionnaire, vient nous rappeler plusieurs choses. En premier lieu, que les groupes ultras, situés dans les tribunes les moins chères des stades, sont généralement composés d’hommes et de femmes issues des milieux populaires et ouvriers, pour qui l’engagement footballistique est une partie de leur identité de classe, même si celle-ci s’exprimait rarement, jusqu’à maintenant, de manière ouvertement politique, sauf exceptions pour quelques groupes bien spécifiques. Les aspects identitaires liés à la culture footballistique, les rivalités de clochers et la volonté de ne pas bousculer un certain consensus interne aux groupes (« on ne parle pas politique sinon ça risque de nous diviser ») prévalent le plus souvent. Ce lien maintenu entre culture ouvrière et sportive est particulièrement fort dans les pays comme la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Grèce et l’Allemagne, où la gentrification des tribunes est en cours mais non achevée, et où les prix des places restent abordables pour une frange encore importante du public. Seule ombre au tableau, l’Angleterre, dont les stades sont devenus des Disneyland du ballon rond et où toute trace de supportérisme populaire a été éradiquée.

Cette identité de classe ressurgit de manière forte avec cette crise, les groupes ultras motivant leurs actions de soutien en des termes réellement politiques et conscients, en dénonçant le saccage de l’hôpital public et les conditions de travail indignes des travailleuses et travailleurs de la santé. Et en n’hésitant pas à s’en prendre aux responsables politiques, comme il y a quelques jours avec Gérald Darmanin appelant à donner de l’argent aux hôpitaux, avant de se faire violemment recadrer sur Twitter par les ultras du PSG.

Banderole des ultras du Panathinaikos Athènes. “Solidarité avec le personnel de santé. Tous unis pour le peuple / Médecins, infirmières, ambulanciers. Tenez bon ! / Dans les moments difficiles, le peuple a toujours été pour le peuple /Tandis que les riches ne s’intéressent qu’à l’argent”

 

Rappelons d’abord que les ultras font face aussi depuis des années à une répression féroce de la part des pouvoirs politiques, d’interdictions de stade en transformation de ceux-ci en laboratoire de la surveillance de masse, à travers les caméras, le fichage généralisé et les arrestations préventives. Cette répression dans les tribunes a précédé sa généralisation à l’ensemble du mouvement social depuis 2016.

Rappelons ensuite la capacité de mobilisation importante, désintéressée et sans calculs politiciens, de ces groupes, habitués à une certaine cohésion et centralisation par leur animation des tribunes. Ils regroupent, par ailleurs, jusqu’à plusieurs milliers de membres pour les plus gros. C’est cette capacité de mobilisation qui doit interroger la gauche révolutionnaire, frange politique qui a les plus grandes difficultés à se mettre en action dans la crise actuelle.

Rappelons enfin le rôle énorme des groupes ultras ces dernières années dans certaines luttes sociales majeures, que ce soit en Turquie en 2013 pendant la lutte pour la sauvegarde du parc Gezi, avec l’unification des différents groupes de la capitale pour mener les manifestations contre Erdogan. Rôle peut-être plus important encore, dans les révolutions arabes de 2011, avec les ultras tunisienEs et égyptienEs en première ligne contre les dictatures. Dernier exemple en date et non des moindres : le Hirak algérien, dont les toutes premières manifestations sont parties des stades, au travers de banderoles anti-Bouteflika, et dont la chanson des tribunes « La casa del Mouradia » est devenue l’hymne de tout un peuple.

À nous, militantEs révolutionnaires, supporters ou non, de creuser cette histoire, de s’inspirer de telles pratiques et surtout, de se mettre en lien avec ces groupes qui sont composés d’une partie importante de notre classe.

En attendant, on continue et chapeau bas !