Publié le Lundi 30 novembre 2009 à 23h38.

Entretien avec Laura de "Ban Public"

D’abord, est-ce que tu pourrais présenter Ban Public, le contexte dans lequel est née l’association et ses objectifs ?

Ban Public est une association d’aide aux familles incarcérées et à leurs proches qui a 10 ans cette année et elle a 2 missions principales: d’abord et avant tout l’aide directe aux personnes et aux proches en réponse par mail, courrier, téléphone, et en soutien avec du renvoi et du lien avec toutes les autres structures qui pourraient nous aider; et par ailleurs beaucoup d’informations via notre site internet (www.prison.eu.org). L’idée c’est vraiment d’informer, d’abord et avant tout, les gens concernés directement, et aussi le public plus largement sur la réalité de la question carcérale, parce qu’énormément de clichés et de préjugés sont véhiculés sur la prison et très peu de gens connaissent la réalité de la situation. C’est aussi faire du lien entre les personnes qui vivent ces situations là, parce que les gens sont extrêmement isolés: les personnes incarcérées évidemment, mais aussi les proches. Ils vivent la chose comme une humiliation et une honte, et ils n’en parlent pas. Et le fait de voir des témoignages sur le site, ça leur permet d’apporter eux-aussi leur pierre à l’édifice, et après de se mettre en contact entre eux et de créer du lien. On ne touche pas de subventions publiques, on est tous bénévoles, y a pas de salariés: on n’est pas du tout dans une logique mercantile. C’est un peu dur pour les assos, mais on tient énormément à notre indépendance, aussi bien vis-à-vis du pouvoir évidemment mais aussi vis-à-vis de tout ce qui peut corrompre d’autres associations, notamment l’argent. Et Ban Public est constituée principalement de personnes incarcérées: sur 100 adhérents, 80 sont incarcérées, et les autres la plupart ce sont d’anciens prisonniers ou des proches de prisonniers, donc des gens qui sont directement concernés par la question.

Le débat médiatique et politique a tendance àréduire la question carcérale à celle de la surpopulation carcérale, est-ce que c’est justifié à ton avis ?

C’est une question extrêmement piégeuse, parce que si on part du postulat qu’il y a une surpopulation carcérale, donc trop de personne incarcérées par rapport au nombre de places, la solution logique c’est «construisons des prisons pour avoir plus de places». Or évidemment le débat est biaisé, parce que le vrai problème c’estpourquoi y autant de gens en prison, et surtout qui on met en prison? Et là quand on se pose la question on se rend compte qu’un tiers des personnes incarcérées ce sont des personnes placées en détention provisoire, qui n’ont pas encore été jugées et qui théoriquement bénéficient de la présomption d’innocence. Dedans y a énormément de personnes atteintes de maladies psychiatriques. Faut savoir que le système pénal français prévoit qu’une personne qui a commis une infraction sous l’empire d’un état psychiatrique malade normalement ne va pas en prison. Elle est déclarée irresponsable et elle nécessite des soins, pas une incarcération. Mais on a constaté qu’il y avait de moins en moins de prononcés d’irresponsabilité pénale, et on retrouve de plus en plus de personnes malades psychiatriques en prison. Et par ailleurs, y a aussi des gens qui commettent des infractions et qui souffrent également de troubles psychiatriques, et la prison est extrêmement pathogène dans ces cas là parce qu’elle engendre beaucoup de problèmes psychiques. Y a évidemment un manque énorme de soins en prison, de soins en général et de soins psychologiques particulièrement. Et on le voit bien, avec la loi sur la rétention de sûreté, que le problème est là et tout le monde le sait. Mais après on va apporter des réponses différentes, et une des réponses ça va être de les laisser en prison tant qu’ils ne sont pas bien, et puis peut-être qu’une fois qu’il aura purgé sa peine on envisagera de le soigner mais toujours en prison. Est-ce que la prison c’est vraiment le lieu pour soigner les gens?

Comment vous jugez, à Ban Public, la politique en matière d’emprisonnement menée par les gouvernements qui se sont succédé depuis 10 ans ?

Depuis le bouquin de Vasseur en 20001 et surtout depuis l’incarcération de 2-3 politiques hauts placés qui se sont rendus compte que la prison c’était quand même un sacré enfer, l’opinion publique (donc le politique) s’est emparé de la question de l’état des prisons. On a quand même eu 2 rapports parlementaires qui ont qualifié la prison de «honte de la république». Sarkozy lui-même, au congrès de Versailles, a réitéré le propos. Mais on a un discours et derrière on n’a rien, absolument rien! Peut-être 2 ou 3 associations qui peuvent intervenir, alors qu’hier elles n’auraient pas pu. Mais concrètement c’est de l’assistanat, de l’occupationnel, et encore quand j’dis ça c’est bien gentil parce que dans l’ensemble c’est juste rien. Et de toute façon, à se préoccuper de l’état des prisons on revient toujours sur ce faux problème: oui y a énormément de prisons délabrées, y a des rats qui courent partout, des chiures de pigeons, c’est dégueulasse et faut changer ça. Mais par ailleurs c’est pas du tout le seul problème en prison. Il ne suffit pas de construire de nouvelles prisons ou de rénover les prisons déjà existantes pour régler le problème des conditions indignes de détention. D’ailleurs quand j’emploie cette expression, de «conditions indignes de détention», c’est pas par hasard parce que c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui l’utilise, ce sont les juges français qui l’utilisent. Et ce terme là il ne qualifie pas l’état matériel des prisons mais bien la situation humaine que vit la personne en prison: le manque total de lien social et surtout le déni profond d’une quelconque volonté de réinsertion.

Est-ce qu’il y a des aspects de cette situation de déshumanisation qui ne sont jamais évoqués d’après toi dans le débat politiquesur les prisons ?

C’est important de rappeler, parce que c’est trop souvent oublié, que l’incarcération (que ce soit une peine ou une mesure de sûreté) c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et non pas la privation de liberté avec un «s» et qui engloberait tout ce qui bouge. Et en pratique ce qui se passe c’est qu’une personne incarcérée on lui nie toute citoyenneté, parce que tout ce qui est du droit commun et des libertés traditionnelles (liberté d’association, liberté d’expression, droit à la sexualité, etc.) devient en fait une prérogative pour laquelle on doit combattre pour l’obtenir. Par exemple pour la liberté d’expression: il faut demander une autorisation avant de pouvoir publier quoi que ce soit. Par exemple pour la sexualité: elle est interdite en prison. Par exemple pour le droit du travail: il n’y a pas de droit du travail en prison. Pourtant les prisonniers travaillent tout de même, mais dans des conditions intolérables. Donc quand on parle de logique de réinsertion et qu’on n’est même pas foutu d’appliquer le droit du travail ça pose quand même sacrément question.

La loi pénitentiaire, votée récemment àl’Assemblée2, ça va changer quelque chose à la situation des prisonniers ?

Ban Public est contre le principe même d’une loi pénitentiaire, puisque ce qu’on réclame à cor et à cri c’est l’application du droit commun. Je le redis encore une fois: la peine de prison c’est une privation de la liberté d’aller et venir. Tous les autres principes de notre droit devraient s’appliquer en prison. Dans la mesure évidemment du possible. On a bien conscience que l’incarcération va poser des limites, des obstacles, mais faire entrer la société en prison ce serait déjà un bon début, et créer des liens entre les prisons et les universités, les écoles, les hôpitaux.

Est-ce que tu pourrais évoquer des propositions de Ban Public, y compris très concrètes ?

C’est vrai que c’est très important pour nous d’être dans la proposition, dans la dénonciation et la proposition. Un exemple tout simple c’est le permis de visite automatique dès le 1er jour pour la famille proche, parce que c’est inadmissible de devoir attendre 2 mois ou 3 mois pour pouvoir avoir un permis de visite, alors qu’on sait que le nombre de suicides est extrêmement élevé pendant la 1ère semaine d’incarcération. Par ailleurs c’est aussi le droit à la personne incarcérée de participer à la gestion de la prison. Quand je dis gestion je parle notamment d’activités socioculturelles, de tout ce qui est «cantinage», de tout ce qui est location de téléviseurs. Parce qu’actuellement on impose des prix aux personnes incarcérées, on leur impose des ateliers, des schémas de formation et des propositions de boulot et ils n’ont jamais leur mot à dire alors que c’est quand même les premiers concernés. Sinon il est extrêmement important de mettre en place des aménagements de peine. Actuellement il y a très peu de personnes incarcérées qui bénéficient des aménagements de peine, ça veut dire que plus des ¾ des gens font une sortie sèche, c’est-à-dire que du jour au lendemain ils se retrouvent dehors, à la rue, sans aucun revenu, sans aucun soutien. Faut savoir que très souvent les personnes incarcérées sont des personnes désocialisées, qui donc n’ont pas de soutien dans la société, et les assos sont extrêmement démunies face à ça. A tel point qu’y a beaucoup d’assos d’hébergement d’urgence ou de soins d’urgence qui refusent de prendre en charge les personnes incarcérées parce que c’est des dossiers trop lourds, trop compliqués. C’est une mise au ban quand on est incarcéré, mais c’est une mise au ban même après dans le reste de sa vie.

Est-ce qu’il y a des initiatives en cours qui ont étéimpulsées par Ban Public ou auxquelles participe Ban Public ?

Alors Ban Public a mis en place depuis l’année dernière l’idée de parrainage d’une personne incarcérée, et l’idée c’est tout simplement de créer du lien. C’est une personne de la société libre qui parraine une personne incarcérée, et l’idée c’est vraiment de mettre du lien entre les gens et après l’asso joue juste le rôle de médiateur entre les deux, donc y a pas du tout besoin d’être adhérent pour faire ça. Et c’est vraiment libre aux deux personnes concernées de développer leur relation comme elles l’entendent, c’est-à-dire que ça débute par un échange de courrier, et ensuite ça se développer dans le sens que ça veut prendre. Donc ça peut être du soutien en visite, du soutien en trouvant des adresses pour la sortie, des idées de formation professionnelle depuis la prison, des envois de livres, tout ce qu’il est envisageable de faire en soutien. Et donc ça a débuté l’année dernière, c’est assez compliqué évidemment à mettre en place parce que c’est tout nouveau et parce que c’est 2 univers qui s’entrechoquent, mais ça donne des résultats extrêmement intéressants. Et après tout, plutôt que de dire que c’est aux assos de le faire prenons le en charge et faisons-le.

Enfin, comment t’en es arrivéeàmiliter à Ban Public ?

J’ai fait des années de militantisme sur cette question, et j’ai eu l’occasion d’animer des ateliers en prison. J’ai côtoyé des personnes incarcérées, et je me suis rendu compte que les assos, aussi bien intentionnées soient-elles, ont tendance à porter le discours au nom de gens qui sont quand même assez grands et assez malins pour le porter tout seul. Et donc c’était extrêmement important pour moi de me retrouver dans une asso où justement la parole elle est donnée à ces gens là en premier lieu. C’est cette parole là qui est importante, ça c’est le premier et principal principe. Et c’est pour ça qu’on en arrive à avoir des positions qui parfois peuvent choquer. Par exemple dans le cadre de prévention du suicide carcéral y a une proposition du co-détenu parrain, ce qui est quelque chose qui fait assez vomir a priori parce que c’est l’idée de faire porter la responsabilité sur le co-détenu. Mais on a répondu à juste titre que dans les faits c’est déjà comme ça que ça se passe. Donc si on peut reconnaître un statut à cette personne, si ça peut lui donner des réductions de peine supplémentaires. Si ça peut lui permettre d’avoir une certaine reconnaissance, après tout pourquoi pas. Alors évidemment faut pas le prendre tel quel, faut voir dans quelle mesure ça peut se mettre en place, mais c’est dangereux de rejeter en bloc parce que c’est une réalité. La constater n’est pas forcément un mal. Après la porter comme 1ère mesure non.

Et les autres militants ?

La plupart des gens qui se retrouvent àadhérer à Ban Public c’est parce qu’un jour ou l’autre ils ont eu besoin de l’asso. Ils sont passés et ont décidé d’y rester pour pouvoir à leur tour tendre la main à quelqu’un d’autre. Et puis c’est une très belle asso!

Propos recueillis par Léo Carvalho