Sébastien Chauvin a travaillé comme journalier dans les nombreuses usines de l’industrie légère de la banlieue de Chicago. Pour ce faire, il a dû acheter une fausse carte de sécurité sociale, puis faire appel aux services des nombreuses agences d’intérim de la ville. À travers cette passionnante plongée dans la précarité made in America, le jeune sociologue s’interroge sur la notion de précarité en général. Il démontre que le recours à l’intérim, contrairement aux idées reçues, n’a pas pour objectif direct de faire baisser les salaires. Il s’agit avant tout de mobiliser en permanence, dans les agences, une main-d’œuvre déqualifiée, immédiatement disponible pour satisfaire aux besoins et commandes de l’industrie. Il s’agit de faire porter l’incertitude uniquement sur les travailleurs, en instaurant une flexibilité maximale sans offrir en contrepartie aux salariés une liberté réciproque. Ces derniers sont surtout des Mexicains sans papiers ou des noirs passés par la case prison, pour qui la recherche d’un travail autre qu’intérimaire est illusoire. Le travail octroyé par les agences apparaît comme une faveur et permet d’instaurer une relation paternaliste entre intérimaires et agences. L’auteur décrit le passage par l’agence comme un rite d’institution négatif, qui vise à rabaisser le travailleur par une série de petites contraintes et humiliations. Chauvin montre que la précarité n’est pas forcément synonyme d’intermittence. Des salariés peuvent, sur la longue durée, à cause de leur statut civique ou ethnique, être maintenus dans une précarité institutionnalisée alors même que leur relation d’emploi connaît une continuité. C’est un nouveau régime des relations sociales dans lequel la « faveur » se substitue aux « droits ». Sylvain PattieuSeuil, 339 pages, 22 euros