Le scandale des paris truqués de l’équipe de handball de Montpellier a mis en lumière un système marchand bien plus ancien et bien plus grave, propre au sport professionnel.
Il faut dissiper deux ou trois illusions. Si en effet l’affaire autour des soupçons de matchs truqués concernant certains joueurs de l’équipe de handball de Montpellier a révélé à une France apparemment éberluée que ce type de scandales n’avait pas forcément vocation à rester une spécialité étrangère ou juste transalpine1, les paris sportifs, la principale motivation de ces « dérives », ne sont pas apparus avec l’arrivée d’Internet. D’une certaine manière, ils font partie de l’ADN économique du sport.
Voici donc la première vérité, depuis le départ, depuis les courses de chevaux du xixe siècle2, puis les prix cyclistes, ensuite les combats de boxe3 : le sport et l’argent font plus que bon ménage. Ils cheminent ensemble car, au-delà des beaux discours de Coubertin sur son extraterritorialité sociale, le monde sportif constitue aussi, et désormais surtout, une activité économique d’importance, et avec une intensité croissante au fur et mesure que sa démocratisation et sa mondialisation s’amplifiaient. Ainsi chez nous, l’économie du sport pèse 34 milliards d’euros et la vente des « produits » (chaussures, maillots, etc.) dépasse les 9 milliards. Pour autant cela représente peu de chose au regard des 200 milliards d’euros annuels que génèrent les paris sportifs dans le monde, suscitant inévitablement l’intérêt des mafias, cette fraction hardcore du libéralisme, avec forcément et inévitablement l’envie de réduire au possible les risques inhérents à cette filière si propice au blanchiment de fonds « douteux » (que ce soit en Chine ou en Inde, qui a elle aussi connu ses scandales autour du cricket, principale discipline sportive là-bas).
La décision prise de libéraliser les paris sportifs en France avec la loi de 2010 – avec de nombreux organismes de contrôle et d’alerte, dont l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), preuve que le législateur savait d’avance à quoi s’attendre – visait avant tout à permettre à l’État de prélever sa dîme sur une manne qui se répandait exclusivement via des sites « illégaux ou étrangers ». Le PMU par exemple a pu se diversifier pour engranger pas moins de 1,2 milliard d’euros lors du seul premier trimestre 2012. Donner ensuite des leçons de morale semble pour le moins hypocrite, quand l’État se charge de stimuler le goût du jeu – où 100 % des perdants ont tenté leur chance – afin de mieux se financer.
Le cas Cesson-Montpellier avec ses faux airs de saga pieds-nickelés et d’artisanat familial, peut d’un coup sembler anecdotique voire mineure. Elle s’avère avant tout révélatrice car elle démontre au quidam que les logiques profondes qui sous-tendent aujourd’hui le développement du sport professionnel, et notamment son rapport intime aux jeux d’argent, ne sont pas le privilège malsain du football ou du tennis, et qu’ils peuvent désormais s’immiscer dans les moindres interstices sportifs. Y compris dans ce beau handball, vendu aux Français comme un refuge pédagogique et sain face au football corrompu et à ses joueurs issus des quartiers si malpolis, alors qu’il a quitté depuis longtemps le nid douillet du sport scolaire pour courir après le modèle et les habitudes tristement ordinaires du sport professionnel. On vient de le constater, et ce n’est sûrement que le début.
Nicolas Kssis