Publié le Mercredi 13 avril 2016 à 11h13.

Le gouvernement veut détruire « Nuit Debout », détruisons le gouvernement !

Une semaine après le début de l’occupation de la place de la République dans le centre de Paris, nous sommes donc le « jeudi 38 mars » selon le nouveau calendrier de lutte. Dans l’assemblée populaire, une femme prend la parole : « On a une semaine. Alors évidemment on est encore à un stade de nourrisson : les premiers mots de bébé, " caca, caca ! ", c’est la première étape logique. » Nous en étions encore seulement au stade du constat, du partage d’expériences, bref d’assumer collectivement que la société dans laquelle nous évoluons est merdique...

Mais c’est presque méthodiquement que la deuxième semaine, même bousculé par les flics et trempé par les flaques, le mouvement se structure. Il nous arrive de passer quelques nuits sans être évacué, d’autres matins, c’est plus sévèrement que les sirènes des mégaphones des policiers nous réveillent. Sous l’œil et la matraque d’un policier trop pressé, il faut replier sa tente « 2 seconds » en une seconde, alors même que le marketing de chez Decathlon n’avait pas prévu ce genre de détails...

Contre flics et marées

Alors que le noyau de personnes à l’origine des « Nuits Debout » commençait à envisager de planifier l’occupation en « temps forts », en week-ends, en soirées thématiques, les tentes et structures ont poussé comme des champignons sur la place et le nombre de participantEs augmente de jour en jour, d’échéances en échéances, d’assemblées populaires en assemblées populaires.Les premiers matins, la répression était violente : bousculades, coups de matraque, clefs de bras et « jets de gauchistes dans le métro », les flics étant déjà bien entraînés grâce aux étudiantEs de Tolbiac, aux lycéenEs de Bergson, aux migrantEs de Calais, aux Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, aux banlieusardEs (entre autres).

Et c’est au moment où c’est le plus dur de tenir, après la fatigue du mois de mobilisation acharnée contre la loi travail, qu’on apprend qu’il y a des « Nuits Debout » dans plus de 60 villes en France : à Nantes, Rennes, Bordeaux, Toulouse, Marseille ou encore Lons-le-Saunier, mais aussi dans la banlieue parisienne, à Saint-Denis, Ivry-sur-Seine... Qu’il y en a même une à Bruxelles et que les indignéEs espagnols reprennent leurs places. Même la place de Tulle où Hollande fêtait sa victoire en 2012 est aussi occupé e !Le mouvement n’est pas fermé. Les gens du quartier nous apportent des sacs de nourriture, des tentes, des couvertures. Une voisine a exceptionnellement ajouté à sa liste de courses des paires de chaussettes pour « réchauffer les cœurs et les orteils »... Des militantEs sont en train de dépaver autour des arbres pour créer un potager.

Du rêve général à la grève générale

La « Nuit Debout » est la prolongation de la manifestation massive du jeudi 31 mars, et elle a pour perspective première de faire tomber le projet de loi travail, car nous n’avons pas les moyens de perdre une fois de plus face au gouvernement. La tonalité des discussions en assemblée populaire est à la convergence des luttes. Comme tout le monde, Frédéric Lordon a attendu son tour pour parler : « Nous n’occupons pas pour occuper, nous occupons pour atteindre des objectifs politiques », a-t-il expliqué, et au premier rang de ces derniers, la « convergence des luttes », avant d’inviter les chauffeurs de taxi, les salariés de Uber, les « Peugeot », ainsi que les agriculteurs à nous rejoindre. Les jours suivants sont intervenus des lycéenEs, étudiantEs, cheminotEs, postierEs, hospitalierEs, paysantEs, intermittentEs du spectacle, précaires, chômeurEs, profs, journalistes, des personnes privées d’emploi et des personnes refusant d’être salariées.

Les débats appellent à la convergence entre les secteurs, mais également entre toutes les luttes pour l’émancipation : celles contre l’impérialisme, contre les violences policières, du féminisme, des problématiques LGBTI+, de l’antiracisme, de la démocratie, des questions écologiques...

« Nuit Debout » a aussi impulsé des actions dans des gares parisiennes en direction des salariéEs et des usagerEs, mais aussi à Stalingrad avec les migrantEs (voir article sur cette double page), devant les prud’hommes contre l’homophobie... Tout a été fait pour renforcer la manifestation du samedi 9 avril par des cortèges dynamiques qui ont révisé des chants avec la compagnie Jolie Môme, un Pink block organisé à l’initiative des espaces LGBTI+ et féministe, le renforcement des liens avec les facs en luttes, ainsi que par des diffusions massives de tracts.

Ne nous regardez pas, rejoignez nous !

Il ne s’agit pas là de parler de révolution par les urnes, de votation citoyenne, de fête de l’Huma permanente ou de calquer des choses déjà usées. Nous anticapitalistes révolutionnaires avons un rôle à jouer dans cet espace, pour ne pas laisser place aux confusionnistes, aux conspirationnistes, aux souverainistes nationalistes et autres réacs qui rodent en espérant récupérer le mouvement.Être « Nuit Debout », c’est se libérer du temps pour réfléchir, élaborer, débattre et discuter, c’est expérimenter de nouveaux cadres de socialisation, c’est s’habituer à reprendre la rue et se réapproprier notre espace public, c’est créer au cœur des villes des points de convergence et des tremplins pour toutes les luttes.

Tarik Safraoui