Publié le Lundi 27 juin 2011 à 22h30.

Sécurité : l’adieu aux armes ?

La dernière proposition de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, d’armer les policiers municipaux, est dans la continuité d’une politique sécuritaire basée sur le flicage systématique des citoyens et la mise en place d’un marché lucratif de la sécurité. Hélas, ce n’est sans doute qu’un au revoir. Guéant nous a fait une fois de plus le coup de l’annonce qui fait peur : « on va armer les policiers municipaux », pour y renoncer ensuite. Mais c’est la façon sarkoziste de préparer le terrain des mauvais coups. Actuellement, pour armer (d’armes à feu) leurs policiers, les maires doivent demander une dérogation au préfet ; si Guéant et le syndicat des policiers municipaux persistent, l’armement sera la règle et ce sont les maires qui n’en veulent pas qui devront demander une dérogation. Lot de consolation : les policiers municipaux vont recevoir 10 000 gilets pare-balles « pour ceux qui sont armés ». Alors là on s’inquiète grave : un des arguments pour armer les flics municipaux, c’est qu’on les confond avec la police nationale et qu’on leur tire dessus. Donc ceux qui ne sont pas armés seraient en danger comme les autres, mais pas protégés ! Mais si on lit bien l’argument, on s’aperçoit que c’est justement parce que les policiers sont armés, ou qu’on pense qu’ils le sont, qu’on leur tire dessus. La conclusion devrait donc être de ne pas armer les policiers !

Quelques chiffres : en 2010, on compte plus de 18 000 policiers municipaux (environ 20 000 en 2011), dans 3 500 communes, concentrés pour 56 % dans le grand Sud-Est et la région parisienne (dont 11 % autour de Paris, avec une progression de 43 % entre 2003 et 2007). 5 000 sont armés de « vraies armes ». On dénombre 143 000 policiers nationaux et 103 000 gendarmes. Soit un policier pour 240 habitants. Et on peut ajouter les sociétés de sécurité privées et la « réserve civile » de la police nationale, créée en 2003 pour les policiers retraités, et que Loppsi 2 étend « aux citoyens volontaires », soit une milice de 3 000 personnes. Parmi toutes les mesures inquiétantes prises par Loppsi 2, celle-ci a été très peu commentée ; elle est pourtant symbolique de la fuite en avant sécuritaire : 3 000 volontaires, dont les seules conditions sont d’avoir 18 ans, un casier judiciaire vierge et la nationalité française, mobilisables 90 jours par an, formés « sur le tas » et… armés ! Les effectifs de la police municipale augmentent et ceux de la police nationale diminuent (11 500 en moins). Cela vous rappelle d’autres secteurs de la fonction publique ? Désengagement de l’État, report des dépenses sur les finances locales1, donc sur les impôts locaux – l’un des impôts les plus injustes –, critères locaux de formation et de recrutement (clientélisme)… Le développement des polices municipales, le report sur elles de toutes les missions de « sécurité publique », est une forme de privatisation de la police qui, comme tous les services municipaux, pourrait être déléguée à des sociétés privées, et cela peut intéresser : un petit service de police municipale de cinq agents était estimé en 2007 à 68 000 euros (hors rémunérations).

Le secteur de la sécurité privée est en constante expansion2 et va profiter aussi de la manne du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) destiné à financer les actions locales conduites par les collectivités et les associations (51 millions d’euros pour 2011) et dont 60 % devront être utilisés pour la vidéosurveillance : si une ville veut toucher des sous, elle doit s’engager à mettre des caméras qui seront fournies et gérées par des sociétés privées. « Permis de tuer »Pour revenir à la question de l’armement de la police (encore un marché qui rapporte !), après avoir cité Rama Yade (« un policier sans arme c’est comme un lion sans dent »), on peut passer en revue avec Maurice Rajsfus3 tout l’arsenal « d’une institution qui a placé la population sous haute surveillance » : « taser, flash-ball, bombes lacrymogènes [...] décrites comme " non létales " ou " peu létales " par les humanistes du maintien de l’ordre. [...] La France est sous contrôle d’une armée de l’ordre chargée de surveiller activement des citoyens qui ne peuvent être que des " individus ", dans le meilleur des cas, et plus sûrement de possibles trublions. 65 millions de suspects potentiels. »

Les policiers sont aussi « armés » de divers « gestes techniques » : balayette, clés au bras ou à la gorge, projection au sol et genou dans le dos, qui peuvent tuer. Ainsi, une grande partie des tués par la police (2007 : 19 morts, 2008 : 11 morts, 2009 : 10 morts, 2010 : 9 morts) ne l’ont pas été par balles. Les 11 et 17 juin, nous manifestions pour demander vérité et justice pour Ali Ziri, mort à Argenteuil à la suite des « manœuvres d’immobilisation » (27 hématomes allant jusqu’à 17 cm de diamètre) et pour Lamine Dieng, à Paris 20e, mort étouffé dans un fourgon de police, face contre terre, mains et pieds attachés, étouffé sous le poids des policiers qui l’immobilisaient. Ces policiers, comme à Villiers-le-Bel, pour Zied et Bouna, restent impunis.

Isabelle Guichard1. Le 18 juin, un référendum appelaient les habitants de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) à répondre à la question : « Êtes-vous favorable à la création d’une police municipale impliquant pour son financement l’augmentation des impôts locaux et/ou la réduction des prestations municipales ? », 9 % seulement se sont déplacés et plus de la moitié ont dit Non. 2. Chiffre d’affaires de la sécurité privée : 18 334 millions d’euros (+ 72 % de 2000 à 2006). Chiffre d’affaires de la vidéosurveillance : 751,3 millions d’euros en 2006. 3. Que fait la police ? Bulletin d’information anti-autoritaire, numéro 49, avril 2011. http://quefaitlapolice.samizdat.net/