Publié le Mardi 4 juin 2019 à 12h58.

« Sur les portes de nos cellules étaient indiqués nos noms et la mention “Gilets jaunes” »

Entretien avec Aurélie et Rémi, deux camarades interpellés à Paris lors de l’acte 28 des Gilets jaunes (25 mai). 

Dans quelles circonstances avez-vous été interpellés ?

Nous nous sommes rendus à Paris pour participer à l’acte 28 des Gilets jaunes. Nous avons rejoint un rassemblement place de la République vers 14h. Nous avons ensuite été bloqués sur cette place suite à un nassage des CRS qui ne souhaitaient pas que le rassemblement se transforme en cortège et quitte la place. 

Durant l’après-midi, la place a régulièrement été arrosée de gaz lacrymo, avec quelques charges occasionnelles de CRS, jusqu’à 18h30 où nous avons été toutes et tous poussés vers le métro pour quitter la place. À cet instant, les manifestants ont appelé à continuer la mobilisation à Bastille.

Dès notre arrivée à Bastille, nous avons vu des manifestantEs se saisir de barrières pour constituer des barricades improvisées et bloquer la route, action à laquelle nous n’avons pas pris part et avons assisté brièvement à distance. Très rapidement les forces de l’ordre sont arrivées sur la place de la Bastille et ont immédiatement tiré des gaz lacrymogènes et grenades de désencerclement pour disperser les manifestants. 

À ce moment-là, nous avons voulu quitter la manifestation et rejoindre le métro le plus proche pour retourner à notre voiture. Alors que nous marchions calmement dans la rue, sans aucun signe distinctif de manifestant (gilets jaune, masque, drapeau ou pancarte), nous avons été interpellés par la police vers 19h. En fouillant nos sacs, les policiers ont trouvé nos masques de piscine qui nous permettent de nous protéger des lacrymo et des LBD et n’ont d’abord pas semblé y réagir. Nous pensions que nous pourrions partir suite à cette fouille, mais le chef est arrivé et à ordonné de toutes et tous nous embarquer. Nous avons été menottés par des serflex et transporté au commissariat du 18e arrondissement.  

Et ensuite, que s'est-il passé?

ArrivéEs au commissariat, nous avons rencontré un OPJ qui nous a indiqué que nous étions en garde à vue pour le motif suivant : « Participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ».

Avant notre mise en cellule, nous avons été fouillés. La fouille n’a pas été la même pour tout le monde. Rémi fait partie des deux personnes qui ont dû se mettre entièrement nues devant 2 policiers, s’accroupir et tousser durant une inspection visuelle de leur anus. Nous avons ensuite été mis dans des cellules sans commodité (pas de couverture, pas de lit, rien) et non mixte tant sur le genre que sur le chef d’inculpation : sur nos portes étaient indiqués nos noms et la mention « Gilet jaune »… Durant la nuit de samedi à dimanche, nous avons été auditionnés tour à tour pour faire notre déposition. À ce moment, nos interlocuteurs respectifs ont essayé de nous mettre de nouveaux chefs d’accusation sur le dos à la demande de leur supérieur. Pour Rémi il s’agissait de la mise en place des barricades sur la place de la Bastille et ce, sans aucune preuve. 

À 18h le dimanche, nous avons commencé à être informé de la suite des évènements : Aurélie a été relâchée de sa garde à vue car elle n’avait rien sur elle de compromettant. Rémi, Aurélien et Rémy ont appris qu’ils allaient être déférés au Tribunal de grande instance (TGI) à Clichy dans la soirée pour une rencontre individuelle avec le procureur le lendemain matin. 

Rémi, Aurélien et Rémy ont donc passé la nuit en cellule individuelle au Tribunal et ont vu l’adjointe du Procureur en début d’après-midi le lundi. Ils ont été libérés le lundi peu après 15h. 

Que s’est-il passé au TGI ?

Aurélie, même libérée de garde à vue, a reçu un rappel à la loi qui stipule le chef d’accusation suivant : « Participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériel, de violences volontaires, contre les personnes ou de destructions ou de dégradations de biens, circonstances que les faits ont été commis en réunion ». Elle n’a pas reçu de condamnation et aucune preuve n’a pu lui être montrée, mais il lui a été notifié que si elle commettait une autre « infraction » dans un délai d’un an, elle sera poursuivie devant le tribunal. 

Rémi a reçu également un rappel à la loi sous condition. Le chef d’accusation est : « Participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou de dégradations de bien à Paris le 25 mai 2019 ». Sa sanction est identique à celle d’Aurélie, mais sur une durée de 6 ans. En plus de cela il lui est interdit de paraître à Paris durant les 3 prochains mois. 

Notre détermination n’est pas entravée par ce gouvernement qui souhaite nous empêcher de faire valoir nos droits. Nous avons été arrêtés pour avoir exercé un droit constitutionnel, celui de manifester, ce qui nous a empêché d’exercer un autre droit constitutionnel : celui de voter. Nous allons essayer de donner suite au niveau juridique à cette affaire…  

Propos recueillis par Martin