Le nouveau garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a clamé sa surprise devant l’état des tribunaux... Comme s’il ne savait pas !
Autant démagogue qu’hypocrite, il a de suite annoncé quelques mesurettes afin de faire taire la légitime colère des professionnels de justice. C’était ignorer la détermination des personnels du tribunal de Bobigny en Seine-Saint-Denis !
Sans moyens
Le 15 février dernier, les magistrats, avocats et fonctionnaires de justice ont pris une initiative exceptionnelle : ils ont lancé lors d’un arrêt de travail un appel commun au gouvernement afin que ce dernier « ne laisse pas couler le deuxième tribunal de France ». Et ils menacent d’engager sa responsabilité si rien n’est fait.
Le manque récurrent de personnels et de moyens pèse lourdement sur leurs conditions de travail et en conséquence sur l’accès au droit des justiciables les plus fragilisés. Ils refusent donc tout à la fois le double mépris de l’État envers les plus pauvres et envers leur travail. En effet, au tribunal de Bobigny, il manquait au 1er janvier 30 postes de magistrats et 75 de fonctionnaires de justice. Les « outils » de travail font cruellement défaut, et les greffiers achètent sur leurs salaires une partie du matériel de bureau nécessaire à la réalisation de leurs tâches...
Très lente pour les pauvres...
à Bobigny (93) ou à Créteil (94), 70 % de la population peut accéder à l’aide juridictionnelle du fait de la faiblesse de ses revenus. Ces habitants pauvres sont donc les principales victimes des carences de cette justice, toutes juridictions confondues. Ils viennent souvent pour faire valoir leurs droits : paiement de pensions alimentaires, contestation d’expulsion, audiences après les licenciements... Ainsi celles-ci interviennent parfois 20 mois après le licenciement, alors que le Code du travail exige un délai d’un mois maximum !
Beaucoup de justiciables renoncent devant des délais si longs et des procédures si compliquées. Les enfants sont particulièrement pénalisés : en Seine-Saint-Denis, 400 mesures éducatives sont en attente, et il faut parfois plus de 6 mois pour qu’un mineur signalé en danger rencontre un éducateur... S’il y a sanctions pour actes de délinquance, celles-ci peuvent arriver 3 années après les faits.
Dans ce même département, 10 000 familles attendent un rendez-vous chez un juge aux affaires familiales pour un divorce ou une pension alimentaire. Ces attentes nourrissent bien évidemment les contentieux et l’aggravation des tensions, voire des violences familiales.
Et c’est le cas également pour tous les défauts de paiement : dette de cantine, de loyers, de factures d’électricité, d’impayés de crédits. Et évidemment ces petites dettes coûtent très chères lorsqu’elles ne sont pas pris en compte suffisamment tôt. Or, au tribunal de Nanterre par exemple, 8 200 affaires sont en attente. Une situation qui est sensiblement la même à Lyon ou Marseille.
... mais aussi très expéditive !
Pour des actes de délinquance, enfin reçu par un juge, les choses vont alors très vite : l’affaire est réglée entre 5 et 10 minutes. Difficile dans ces conditions, pour des avocats souvent commis d’office et surchargés, de jouer pleinement leur rôle, et impossible pour les plaignants de prendre la parole. Cette justice expéditive ne peut examiner tous les aspects qui ont conduit un justiciable devant le tribunal. Et elle fonctionne au tarif : telle peine, telle sanction... Peu importe alors le contexte de l’affaire et la situation de la personne.
La grande majorité des faits de délinquance sont des délits mineurs (vol à l’arraché, possession de drogue, dégradations contre les biens, outrage à agent de la force publique...), et c’est la comparution immédiate qui est alors généralement proposée à l’auteur des faits. Dans ce cas, la défense en urgence est un leurre, et les condamnations sont en général plus lourdes. Et lorsqu’il y a peine de prison, il y a souvent mandat de dépôt.
L’État délinquant au service du capital
L’État ne s’applique même pas à lui-même les règles qu’il s’est données ! Les magistrats estiment qu’une partie des jugements qu’ils rendent sont entachés d’illégalité parce qu’entre les faits et le jugement, il s’est écoulé trop de temps, les délais légaux étant dépassés... Ainsi, l’État a-t-il été condamné en 2011 à verser 400 000 euros de dommages et intérêts à 71 plaignants pour déni de justice. La Commission européenne pour la justice, chargée d’observer le fonctionnement de cette institution, a classé la France 37e sur les 43 pays examinés...
Sur le fond, cette justice de classe est libérale pour les patrons voyous et les délinquants qui fraudent le fisc. En revanche, elle criminalise une partie de la population par le focus permanent qui est mis sur la petite délinquance, grâce à une inflation de lois de plus en plus répressives. Ainsi celle qui vient d’être votée sur la fraude dans les transports en commun, fraude qui pourra être punie de 6 mois de prison et de 7 500 euros d’amende, mais également par la remise en cause des droits acquis par les luttes, comme le code du travail. Puis donc par le traitement discriminant qui est fait ensuite dans les tribunaux...
Roseline Vachetta