Les difficultés que le NPA-A rencontre aujourd’hui à s’implanter, à intervenir, à avoir un poids sur la situation politique sont le résultat du recul de la conscience de classe, et la faiblesse des organisations du mouvement ouvrier, mais également de la séparation de décembre 2022, et avant cela de la crise structurelle du NPA.
Nous ne pouvons faire l’économie d’intégrer les difficultés de la classe ouvrière actuellement à celles qu’a toujours rencontrées le mouvement trotskiste dans sa construction et son développement, et dont notre organisation est héritière. Quand la IVe Internationale est fondée, « il s’agit d’une Internationale minoritaire, sans section de masse, de ce que [Trotsky] appelle ’une Internationale de cadres’. Cette Internationale est née d’une suite de défaites du prolétariat mondial, dont la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier. Elle se forme dans un contexte où, dans nombre de pays clefs, le mouvement ouvrier n’est pas vierge, mais déjà massivement organisé et profondément divisé en deux courants qui se nourrissent l’un l’autre, le courant social-démocrate et le courant stalinien. »1 Ainsi « dans ces conditions, ‘la ligne droite n’est guère possible’, répète Trotsky. Il faudra donc savoir trouver les failles et les points d’appui pour combler la distance entre cette Internationale minoritaire, qui constitue un instrument indispensable et l’Internationale de masse nécessaire à construire. »2
Groupuscule et secte
Ce statut minoritaire, largement déconnecté de la classe, a entraîné un certain nombre de déviations et de difficultés. Bien qu’il y ait pu exister des périodes relativement fastes – les années 1968 en France en sont un exemple marquant – il est indéniable que la période qui s’est ouverte avec la chute du Mur de Berlin et de l’URSS a finalement renforcé cette marginalisation. Comment être trotskiste en l’absence de stalinisme ? Surtout, comment maintenir un courant au sein du mouvement ouvrier quand celui-ci traverse une crise profonde dont il semble ne pas pouvoir sortir ?
Cela n’implique pas que la situation actuelle soit dénuée de possibilités pour le courant trotskiste, mais, de manière générale, il reste lui aussi en crise. Sa position minoritaire l’a souvent poussé à adopter la structure du groupuscule, qui débouche fréquemment vers des dérives sectaires. Cependant, tout groupuscule, c’est-à-dire un groupe de petite taille en contraste avec un parti de masse – tel que le parti bolchévique à ses débuts, ne devient pas nécessairement une secte. La tendance sectaire n’est pas intrinsèquement liée à la taille d’un groupe.
Ceci étant, la petite taille de l’organisation entraine des difficultés à influencer directement la lutte des classes en mobilisant uniquement ses propres forces. Un tel groupe est moins implanté, il a moins de rayonnement dans la classe. Visant de grandes fins (la révolution), mais avec de faibles moyens, une des façons pour lui de résoudre cette contradiction est au choix de réduire ses délimitations stratégiques pour essayer de s’insérer dans les mouvements plus larges ; de se replier sur les idées qui sont un bon moyen pour politiser son milieu autour de soi, en particulier dans des moments de faible radicalité.
On constate alors un repli sur la production intellectuelle, parce qu’on peine à influencer le reste du mouvement social, mène à se centrer sur l’élaboration aux dépens de l’intervention. In fine, cela conduit à un repli total sur soi : on finit par ne plus débattre qu’avec soi-même autour de mots d’ordre généraux sans application concrète dans l’intervention. Les camarades nouvellement intégré·es sont transformé·es par l’intégration dans le groupe sans qu’en retour le groupe soit transformé par leur arrivée.
La pratique, quant à elle, devient routinière. Une vision restreinte de ce qu’est la classe et de ce qu’est le Front unique pousse à ne s’adresser qu’à une partie du mouvement social (ou à aucune). Certain·es ne souhaiteront dialoguer qu’avec Lutte ouvrière, d’autres ne s’intéresseront qu’aux groupes en rupture avec LFI (quel que soit le fond politique de la rupture) ou aux courants issus de la IVe Internationale.
Ce positionnement empêche souvent de comprendre ce qui se passe lors de mouvements hors-normes comme les Gilets jaunes, ni de s’adresser aux mouvements féministes, antiracistes, qui se construisent en indépendance de la gauche. L’orientation de l’organisation est alors soit hostile, soit opportuniste, mais en tous les cas, elle est incapable d’offrir une ligne et d’influencer le mouvement en cours. Il en est de même pour les élaborations théoriques apportées de l’extérieur du mouvement ouvrier : elles sont rejetées car contraires au dogme, ou bien intégrées mais sans articulation avec le reste du discours anticapitaliste, écosocialiste et révolutionnaire.
Un groupe dont la base est socialement composé d’intellectuel·les n’est pas voué à ce destin, et l’expérience des débats, la formation, la formulation des idées, la subtilité théorique sont des atouts indéniables si tant est qu’on ne tombe pas dans le biais de la recherche d’une homogénéisation absolue, des débats interminables et de la focalisation sur les points secondaires. Les débats d’idées, la réflexion, l’esprit critique font progresser l’organisation et la formation des militant·es, autant de choses indispensables à la vie d’un groupe politique – si elles ne sont pas déconnectées de la nécessité d’intervenir dans les luttes pour transformer la société.
Pour cela, il nous faut avoir une véritable politique d’implantation
La question de l’intervention sur les lieux de travail doit être régulièrement à l’ordre du jour des réunions dans le parti. Il lui faut choisir quels lieux sont prioritaires, que ce soit l’hôpital du coin ou un sous-traitant automobile, ou la cantine de la Poste ou encore un entrepôt logistique. Cela doit s’inscrire dans des réflexions au sein de toute l’organisation sur les priorités d’implantation et les nouveaux « secteurs stratégiques ». Nous devons également cibler les filières professionnalisantes : les écoles d'infirmier·es et écoles paramédicales, IUT, lycées pros, etc., dont la composition sociologique est bien plus représentative de notre classe. Cette politique ne peut se mener qu’avec les JA. Il s’agit pour nous non seulement d’avoir une intervention extérieure en tant que parti (diffusion de tracts, etc.) mais également d’arriver à avoir une intervention avec des militant·es employé·es à l’intérieur de la boîte ciblée.
Le deuxième aspect nécessite de former les camarades et de discuter de leur activité syndicale, de ce qu’on peut défendre sur son lieu de travail, ou bien dans les unions locales et départementales des syndicats, mais également du niveau de responsabilités qu’on peut prendre sans se faire absorber et n’avoir plus le temps pour « la politique ». Ces discussions ont un double intérêt. D’une part que les camarades ne soient pas isolé·es sur leur lieu de travail et discutent collectivement des problèmes rencontrés et recrutent des militant·es parmi leurs collègues. D’autre part que leurs interventions aident l’ensemble du parti à saisir le niveau de conscience de classe, des possibilités de la période et ainsi lui permette de dépasser son faible nombre de militant·es. Cela suppose d’accompagner des camarades précaires, en fin d’études, en reconversion, à trouver où s’embaucher pour travailler, militer et vivre dans de bonnes conditions, avoir un milieu à mobiliser. Le dernier aspect que nous voulons développer dans le NPA, réside dans une politique offensive quand une grève démarre localement, pour mettre autant que possible toutes les forces du comité en soutien à celle-ci. Cela passe par une présence quotidienne sur le lieu de mobilisation et, s’il y en a, sur les piquets de grève, l’information par la création de contenus pour les réseaux sociaux et d’articles pour le journal, la collecte de fonds pour la caisse de grève…
Il faut donc se fixer l’objectif de reconstruire des « branches », le regroupement des militant·es et sympathisant·es travaillant dans les mêmes secteurs pour pouvoir centraliser l’information, mutualiser les expériences, proposer une orientation, agir de manière coordonnée, et donc avoir un impact plus fort dans la lutte des classes.
Ces politiques volontaristes d’implantation doivent également se déployer à destination des lieux de vie. Il y a en effet une partie des classes populaires que nous ne pourrons pas atteindre en menant une politique uniquement à destination des lieux de travail. Ces secteurs de la classe peuvent être au chômage, précaires et/ou coincés dans des statuts de type auto- entreprenariat, ou tout simplement travailler dans des structures envers lesquelles nous n’avons aucune intervention. Il s’agit dès lors d’identifier les quartiers populaires de la ville ou de l’agglomération, et discuter d’une intervention dans ce cadre. Pour cela, il faut voir les camarades qui y résident et quelles associations existent pour s’y investir. Là encore, l’existence d’une commission pour organiser cette intervention est nécessaire. Parfois, c’est un événement politique majeur (guerre, mouvement féministe ou antiraciste…) qui nous incite à contribuer à créer, avec d’autres forces politiques, syndicales ou associatives, des comités sur nos quartiers, d’intervention spécifique sur une question. Notre objectif est alors d’associer le plus grand nombre pour l’action. Nous gardons en tête que lorsque « la lutte de classe devient plus aiguë, et que la domination de classe est plus fortement ébranlée dans la pratique, des franges de la classe opprimée se libèrent toujours plus clairement des idées des dominateurs. »3
Il en est de même pour l’intervention dans la jeunesse et donc à destination des lieux d’études, qu’ils s’agissent de lycées généraux, professionnels, d’universités, etc. L’urgence est de renforcer les Jeunesses anticapitalistes. Les mêmes questions se posent pour les interventions dans l’ensemble du mouvement social, dont les groupes LGBTI et féministes et le mouvement écologiste qui sont aujourd’hui des éléments clés de la politisation et de la radicalisation de la jeunesse.
Dans tous les cas, avoir une vraie politique d’implantation dans tous les secteurs de notre classe est indispensable. Il s’agit de pouvoir avoir une évaluation correcte de la lutte des classes, nourrissant en premier lieu nos élaborations. De cette manière, il s’agit de proposer des mots d’ordre et une orientation politique adaptée à la situation pour prendre des initiatives, pour faire des tests et pour pouvoir en tirer les bilans. Ainsi, le parti sera en mesure de gagner en surface militante, d’élargir son milieu et son aire d’influence, de se transformer politiquement, sociologiquement, en même temps qu’il recrute des militant·es plus représentatifs des classes populaires, plus implanté·es.