Cinq ans et demi que nous nous connaissons, et pourtant, c’est comme si tu avais toujours fait partie de la famille. Jamais encartée, toujours présente, tu as côtoyé des camarades de tous horizons dans les manifestations parisiennes où tu te rendais des années durant. Avec une affinité particulière pour la LCR puis le NPA.
On s’est rencontré en manif à l’automne 2017, contre la loi travail n°2 croient se souvenir ceux qui y étaient. Tu venais d’arriver à Caen, pour te rapprocher de ta famille, pour mettre de la distance avec une cheffe qui t’avait pourri la vie au travail. Et là, à l’aube de la retraite, tu t’étais dit : « militer pour de vrai ? Pourquoi pas ? » et avais timidement demandé à l’un d’entre nous comment adhérer. Tu n’as pas été longue à faire ta place dans notre comité.
« Gaëlle, c’était comment la projection sur la Palestine ? », « Gaëlle, ça s’est passé comment la diff à la cantine des cheminots ? », « Gaëlle, ça a donné quoi la manif en défense du squat des migrants soudanais menacés d’expulsion ? » — « c’était gé-nial ! Ça donnait trop la pêche ! Et puis les jeunes, tu te rends compte, ils ont fait ça ! J’en revenais pas ! » Et nous aussi, avec toi, on n’en revenait pas. De temps en temps, un plus grincheux dans la bande tempérait ton enthousiasme — du genre à distinguer le décompte syndical et le décompte réel des manifestantEs, ou relever la subtile nuance entre appel à la grève « partout où c’est possible » et appel à la grève tout court. Mais ton enthousiasme était toujours lucide. C’était celui d’une militante qui voyait des possibilités s’ouvrir, qui se félicitait de la détermination de ceux et celles qui luttent et brisent les logiques individualistes pour inventer collectivement. Ce genre d’enthousiasme sans lequel on ne parcourt pas comme toi le tiers des cantons du Calvados en quête de parrainages pour la présidentielle avec pas moins de six conducteurs et surtout conductrices différentes dont, prouesse dans la prouesse, deux n’étaient même pas sympathisantes du parti avant ça. Parce que tu avais le don de rayonner, jusqu’à convaincre qu’aller démarcher des maires dans la campagne réactionnaire du Calvados pour porter les idées révolutionnaires, ça pouvait être une activité dominicale chouette !
Peu avant ta retraite intervenue fin 2018, le rectorat de Caen, où tu travaillais, est entré dans un processus de fusion avec celui de Rouen. Pour tes collègues plus jeunes, l’horizon se bouchait d’un coup : déménager à Rouen ? Accepter une mutation dans un service maintenu à Caen — mais pour combien de temps ? Tout plaquer ? Tu aurais pu laisser l’orage passer, il te restait trop peu de temps à faire pour avoir à trancher ce dilemme. Mais non. Tu as fait bloc avec ton service, avec celles et ceux qui refusaient de voir leur vie bouleversée par la logique comptable de la suppression des « postes en doublon ». La lutte n’a pas été complètement gagnée. Mais elle n’a pas été perdue non plus. Et lorsque tu as quitté le rectorat, c’était fière de t’être battue avec des collègues que tu rencontrais par la suite avec plaisir.
Et même d’autant plus de plaisir que tu étais débarrassée du travail. Faire un tour au marché, lire un bouquin au café du coin, marcher deux bornes pour rendre visite à ta mère : tu avais enfin le temps pour toi. Et pour militer ensemble aussi. Que de tractages, notamment sur le marché populaire d’Hérouville où tu commençais à devenir une figure familière ! Que de collages, y compris pendant le confinement où il fallait semer les flics ! Dans l’année écoulée, tu n’as pas ménagé tes efforts pour tenter d’éviter la scission de notre parti. Et sans toi, pas sûr qu’il y aurait eu une chorale pour célébrer les 150 ans de la Commune de Paris à Caen, chorale que tu as continué à animer jusqu’à aujourd’hui pour faire résonner les chants révolutionnaires en manif ou sur des piquets de grève. « Meuh non », disais-tu il y a peu encore, « c’est pas moi qui ai eu l’idée ! »
– « Ben c’est pourtant toi qui es allée la proposer à l’occupation des intermittents du spectacle ! »
– « Ah ouais ? Je m’en souvenais pas, tu vois… »
Tu étais trop modeste pour ça, Gaëlle. Trop modeste pour t’imaginer que, 24 heures après ta disparition, deux mille personnes nous écouteraient dans un silence rare chanter pour toi La Semaine sanglante, avant de partir pour une énième manif contre la casse des retraites. La meilleure manière d’exorciser ton absence.
Au revoir, camarade. Tu seras toujours à nos côtés dans les batailles pour un monde meilleur, à ton image.
Les militantEs du NPA de Caen