Force est de constater que la gauche de gouvernement est, en matière de politique migratoire comme en tant d’autres domaines, douée d’un don prodigieux : celui de toujours réussir à décevoir les antiracistes un tantinet conséquents. Ceux-ci s’estimaient pourtant sans illusion quand, par défaut, ils s’étaient résolus à voter en 2012 – une fois encore – pour ceux qu’ils voulaient encore croire les moins pires...
Ce gouvernement nous le fait éprouver cruellement au quotidien. Mais cela ne date pas d’hier... En remontant de seulement quelques décennies, il s’agit là d’une constante remarquable. Bien sûr, au gré des circonstances, on a pu ne pas se sentir immédiatement floué.
La restitution du droit d’association aux étrangers
C’est ainsi qu’en 1981 lorsque, après une très longue éclipse, les forces qui se réclament de la gauche reviennent au pouvoir, un tel chantier leur est ouvert qu’elles n’auront pas trop de difficultés à prendre, à première vue, des mesures pour une fois conformes à ce qu’on est en droit d’attendre d’elles. Parmi celles-ci, on doit sans doute, avec le recul, mettre au premier rang la restitution du droit d’association aux étrangers. Il faut bien lire « restitution » car l’histoire mérite d’être contée.
En 1901, la loi qui pose les bases de la liberté d’association inclut très explicitement les étrangers. Cela durera jusqu’en 1939. C’est alors que le gouvernement Daladier – qui s’était notamment illustré l’année précédente en organisant l’internement des «indésirables étrangers » – rajoute à la loi de 1901 deux articles indiquant qu’« aucune association étrangère ne peut se former ni exercer son activité en France, sans autorisation du ministère de l’Intérieur » et que cette autorisation peut leur être « retirée à tout moment, par décret », étant entendu que sont considérées étrangères les associations dont un quart des membre sont étrangers. Ainsi en a décidé le gouvernement de l’ancien ministre de la Défense du Front populaire qui, en 1957, sera encore président du « Rassemblement des gauches républicaines ». Ce sont donc ces articles que la loi du 9 octobre 1981 ne fait qu’abroger.
1981 : régularisation... pour les travailleurs
1981 est aussi l’année de l’opération de régularisation en apparence la plus généreuse de l’histoire : 130 000 dossiers, soit près de 90 % des dossiers, reçoivent une réponse positive. Mais attention, si une durée de présence de seulement un an est exigée (on croit rêver), il faut aussi avoir travaillé au moins un an (l’emploi irrégulier étant pris en compte, à condition que l’employeur se mette en règle avant la fin de l’année). Cette régularisation ne connaît donc que les travailleurs et ce sont d’ailleurs les directions du travail et de l’emploi qui instruisent les dossiers. On est donc très loin de la notion de libre circulation, d’autant que la volonté de contrôler les nouvelles entrées est hautement affirmée.
En réalité, le Parti socialiste n’a pas de mal à faire relativement bonne figure en ces temps où le secrétaire général PCF pouvait proclamer : « Il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage ». Le communisme municipal fait souvent preuve à cette époque d’une exubérante xénophobie, l’exemple le plus emblématique demeurant la destruction au bulldozer (!), Noël 1980, d’un foyer de Vitry-sur-Seine où venaient de s’installer 300 Maliens jugés indésirables.
« Seuil de tolérance » et « misère du monde »...
Quoi qu’il en soit, le retour à la gauche telle qu’en elle-même (hélas !) ne tardera pas. Dans les années 80, on entend sur fond de montée – déjà – du Front national, notre actuel ministre des Affaires étrangères, Fabius, déclarer benoîtement que celui-ci ne fait qu’apporter de mauvaises réponses à de « bonnes questions ». Quant au Président Mitterrand, en reprenant un temps à son compte la notion de « seuil de tolérance », il ouvre la voie aux effets dévastateurs de la phrase sur « toute la misère du monde » d’un Rocard qui, se flattant d’avoir refoulé 60 000 personnes et annonçant une performance accrue pour 1989, se jette à corps perdu dans cette politique du chiffre promise à un si bel avenir.
En 1991, Édith Cresson engage une régularisation des déboutés du droit d’asile (15 000 bénéficiaires pour 50 000 dossiers) mais dans le même temps prive les demandeurs d’asile d’un droit au travail (existant encore en Allemagne...) avec cette justification : « Dans un contexte où les demandes d’asile sont examinées dans des délais très courts, il est apparu désormais possible de revoir les conditions d’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ».
De gauche à droite, la « maîtrise des flux »
La suite est connue : les cohabitations et alternances successives donneront lieu à un alignement progressif, de moins en moins bien dissimulé, de plus en plus assumé, des politiques conduites par les deux grands partis de gouvernement au prix d’un incoercible glissement vers la droite. L’obsession de la « maîtrise des flux », de plus en plus racisée, l’emporte, quoi qu’on en dise à gauche, sur toute autre considération, si ce n’est celle du maintien des conditions de surexploitation de la main-d’œuvre étrangère.
Mais faut-il vraiment s’en étonner de la part d’une gauche dont les racines plongent dans l’histoire d’une République coloniale, impérialiste et productiviste dont elle a forgé les « valeurs » ? Rapports sociaux de race rime toujours avec rapports de classes.
François Brun