La mobilisation contre le tunnel et le tracé Lyon-Turin a lieu dans la vallée de la Maurienne, première victime, côté français de ce projet inutile et dangereux.
Cette vallée, creusée par la rivière de l’Arc est un axe majeur millénaire entre la Savoie et l’Italie, Val de Suse. Au 19e siècle, la tradition agro-pastorale est bousculée par l’industrie métallurgique. Au milieu du 20e siècle, c’est l’explosion de l’or blanc qui vient chambouler le paysage. De nombreuses stations de ski — La Norma, Les Karellis, Bessan, La Toussuire — voient le jour et créent des fortunes locales aussi épaisses que discrètes. L’Arc est longé par une route, un chemin de fer de deux voies, une autoroute avec le tunnel du Fréjus (long de 12 895 mètres) mis en service en 1980.
Entre l’idée d’une voie de transport directe entre Lyon et Turin et son éventuelle mise en service, cinquante ans se sont écoulés.
Le projet en quelques dates
En 1990, Louis Besson, homme politique local, maire PS de Chambéry, mais aussi ministre des Transports et du Logement, ministères proches du BTP, porte le projet. On fait rêver : Paris-Milan en 4 heures pour les voyageurs, les camions sur le rail, Chambéry en hub international…
Les écologistes acclament : la pollution sera maîtrisée.
La droite depuis ses bastions savoyards, suivie par le PS, aiguise les appétits locaux promettant une nouvelle manne comme l’a été celle de l’or blanc : pour toutEs celles et ceux qui souffrent de la fermeture des usines qui a sinistré plusieurs vallées, et des emplois. À la spéculation, on promet le développement en flèche de l’immobilier.
Quelques « gauchistes » s’opposent et pointent un projet capitaliste au service du seul intérêt du BTP.
En 1991, la Convention alpine est créée et doit permettre le développement des régions alpines frontalières.
Entre 2001 et 2015 : études, négociations entre la France, l’Italie et l’Europe, le projet est déclaré prioritaire par les chefs d’État et bénéficie d’un important financement public.
2015 : création de TELT (Tunnel Euralpin Lyon Turin), promoteur public de droit français dont l’État est actionnaire à 50 %.
Le trajet et les coûts
Le trajet a fait l’objet de plusieurs remaniements en fonction des influences locales. Fret et voyageurs partent de Grenay, non loin de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, et arrivent à Saint-Jean-de-Maurienne.
Le passage des trains va nécessiter la construction de 8 tunnels et 6 viaducs. Les modes de financement de ces accès ne sont pas connus à ce jour et font douter le Conseil d’orientation des infrastructures qui repousse de 2035 à 2048 une hypothétique mise en service.
À tout ce qui a déjà pu être écrit quant à l’explosion du budget de construction, s’ajoute le budget de refroidissement permanent du tunnel, la maintenance et sécurisation ainsi que celles des ouvrages d’art des accès.
De l’inutilité du projet
Là aussi, à qui veut savoir, tout a été dit, par les No TAV, par les MauriennaisEs, par le Collectif contre le Lyon-Turin de Chapareillan1 sur le débouché du tunnel prévu sous le massif de la Chartreuse.
Les échanges en Europe ont été totalement modifiés depuis l’origine du projet : il n’y a plus d’industries pour remplir le fret, comme Fiat à Turin, la métallurgie en Maurienne. Le nombre de voyageurs a baissé drastiquement.
Tout a été dit, calculé, prouvé à ce sujet, voir entre autres le site modeste mais avéré de Vivre et Agir en Maurienne2.
La réalité sur le terrain
Les emplois ne seront pas des emplois locaux et ne seront pas pérennes. Le boom immobilier pour l’instant consiste à exproprier. Les terres agricoles sont bétonnées, les réseaux hydrologiques sont bouleversés, la vallée est d’ores et déjà défigurée. Selon l’ADEME (agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), il faudra 25 ans pour amortir, via l’économie de circulation des camions, le CO2 émis pour la construction. Relier Paris à Milan en 4 h 30 est totalement irréalisable, et ne tient pas compte, par exemple, des nécessaires arrêts.
La ligne de fret, remise à neuf pour un milliard à Ambérieu, est utilisée à 20 % de ses capacités, et les pentes trop rudes mises en avant ne sont pas un problème en Suisse pour une configuration semblable.
Ce projet n’est plus celui d’une volonté politique de développement, qui déjà serait à interroger, mais bel et bien celui de Vinci, Bouygues, Eiffage et Colas.
Depuis plus de dix ans, des collectifs et associations locales, en vallée de Mauriennne, en vallée du Grésivaudan, luttent contre ce projet faramineux avec de très petits moyens et sans grands échos locaux et nationaux. Ce qui est le plus étonnant dans ce drame écologique, c’est que les concernéEs en Maurienne, en Isère, en Savoie et tout au long du tracé côté français, ne soient pas plus nombreuxEs à se révolter non seulement contre la défiguration de leur habitat et de la nature mais aussi contre des dépenses faramineuses qui permettraient la construction de plusieurs hôpitaux, de crèches, de compenser les restrictions de budget de la région Auvergne-Rhône-Alpes sur le dos de la culture.
Si la montagne se soulève, peut-être que la triste vérité de l’avenir de leurs descendantEs les mobilisera.