Il n’y aura pas de débat : la relance de la filière nucléaire, avec 14 nouveaux réacteurs EPR a été « annoncée » par Macron à Belfort le 10 février 2022 et confirmée par la loi du 16 mai 2023, dont le but est de relancer la machine militaire et automobile, deux industries d’un autre temps. La « décarbonation » macroniste est écocide.
Macron le dit lui-même : « sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil. » Cette politique du « nucléaire à marche forcée » vise essentiellement à réactiver le complexe militaro-industriel, sur fond de luttes d’influence entre puissances impérialistes.
Aujourd’hui, c’est le géant russe Rosatom qui domine le business mondial (centrales, combustible, ingénierie) ; même dans l’UE, ses ventes sont en hausse constante depuis 20201. La loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 est en hausse de 40 %2 ; la dissuasion nucléaire représente plus de 20 % des crédits d’investissement militaire. Les 2 500 entreprises de la filière nucléaire civile et militaire, les groupes de BTP ou les industriels de l’armement, tous pourront se partager le gâteau et gaver leurs actionnaires à coup d’argent public, sans risque. En période de récession, cette relance est une véritable aubaine pour les entreprises capitalistes qui sévissent dans un secteur qui a pour seule règle de fonctionnement l’opacité.
Toutefois, les enjeux vont bien au-delà des intérêts propres de ces entreprises. Avec l’interdiction des moteurs thermiques en 2035 en France, l’automobile électrique serait une « atomobile » (70 % de l’électricité produite est d’origine nucléaire). Remplacer tout le parc automobile par 39 millions de voitures électriques, c’est installer partout des bornes à recharge rapide. Le lobby électronucléaire (sur)évalue, pour un million de véhicules électriques (3 % des voitures en circulation), le besoin annuel à 12 terawattheures, l’équivalent d’un EPR. Soit 30 EPR supplémentaires pour le 100 % électrique, un alibi justifiant le nucléaire « à marche forcée ». Grâce aux compteurs « communicants » Linky qu’Enedis (filiale EDF) veut imposer partout, l’État pourra compenser les taxes sur les carburants en taxant davantage, de façon ciblée les KWh dépensés pour recharger les batteries.
Dans ses vœux 2023, Macron promettait que « dans les prochains mois, les premières voitures électriques entièrement construites sur notre territoire sortiront d’usine ». La voiture électrique est un parfait greenwashing pour les firmes automobiles. Mais pour rentabiliser leurs investissements, les groupes allemands ont obtenu en mars 2023 une dérogation pour les carburants « de synthèse », à la fabrication pourtant très énergivore. Le deal défendu par Macron (introduire en compensation, le nucléaire dans le Net Zero Industry Act pour bénéficier des milliards de subventions européennes) a échoué. Il faudra donc trouver ces milliards ailleurs…
Une filière nucléaire en fin de course
L’uranium n’est plus français depuis longtemps : il ne reste de cette période que des zones définitivement polluées. Pour protéger les mines d’Orano au Niger, au Mali, au Gabon et l’approvisionnement de la filière en uranium, l’impérialisme français a multiplié les interventions militaires. Et, le 21 mai 2023, Macron a dû se déplacer en Mongolie pour soutenir un projet de mine d’uranium piloté par Orano. Avec un uranium importé à 100 % — comme le pétrole — « notre indépendance énergétique grâce au nucléaire » est un mensonge éhonté.
En 2023, 23 réacteurs ont déjà dépassé leur limite d’âge, fixée au départ à 40 années de fonctionnement. Ils seront 33 en 2025 et 54 réacteurs sur 56 auront dépassé les 30 ans. Les arrêts pour réparations s’accumulent et la production chute : l’été dernier, le parc nucléaire a tourné à près de 40 % de sa capacité. Confronté à ce problème de renouvellement, EDF lance le « grand carénage » : retaper ses centrales pour les faire durer jusqu’à 50, 60… 80 ans. Le coût est exorbitant : près de 100 milliards3. Et cette estimation doit sans doute être réactualisée pour tenir compte de nouveaux défauts découverts sur les réacteurs et des dernières études réévaluant les effets du changement climatique.
Au bout de la chaîne, d’après l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), plus de 1 620 000 m3 de déchets radioactifs s’accumulent sur le territoire français. D’ores et déjà, la filière est engorgée. Les piscines d’entreposage de combustibles usés de l’usine de La Hague sont saturées. Pour libérer de la place, EDF, Orano et l’Andra ont leur plan : les combustibles usés de type mox4, qui doivent rester immergés pendant 100 ans, seront retransférés sur le site dans une nouvelle piscine géante. Sortis de piscine et refroidis 50 ans à l’air, les déchets les plus dangereux seront enfouis 500 m sous terre à Bure, dans la Meuse (décharge Cigéo). Ils resteront radioactifs 100 000 ans. Leur « solution définitive » est définitivement irresponsable pour les générations futures.
Une « marche forcée » qui ressemble à un « parcours du combattant »
Le but des annonces macroniennes est de conditionner la population à accepter l’idée que le nucléaire est incontournable et qu’y aller à « marche forcée » est inéluctable.
Ce qui est inéluctable, à coup sûr, c’est le vieillissement des installations, qui affecte le génie civil et tous les composants (câbles électriques, tuyauteries, organes mécaniques…). S’y ajoute l’obsolescence de l’électronique et des systèmes de pilotage. Tout ne peut pas être « rénové » et deux éléments essentiels, la cuve du réacteur et son enceinte de confinement, ne peuvent pas être remplacés. Le vieillissement est un facteur de risque aggravant qui se cumule aux erreurs humaines (80 % des incidents), aux évènements naturels (inondations, séismes, incendies…), aux accidents industriels (explosions d’usines chimiques, de tankers, gazoducs…). Sans compter les opérations militaires… risque non prévu mais bien réel au vu de la guerre en Ukraine. Mais l’ex-banquier Macron veut « rentabiliser » à tout prix une filière à bout de souffle. Penser prolonger à 80 ans des centrales conçues pour 40 ans maximum ne s’explique que par un déni du risque d’accident majeur. À l’image des négationnistes comme Jancovici5 ou des autorités japonaises qui, en février 2011, avaient prolongé de 10 ans le permis d’exploitation du réacteur n°1 de Fukushima alors qu’il avait dépassé la limite des 40 ans… Un mois avant qu’il n’explose ! 6
Alors construire de nouveaux réacteurs EPR ? Bruno Le Maire le disait déjà il y a quatre ans : l’EPR, « c’est un échec pour toute la filière nucléaire française ». Mis en chantier en 2006, sa mise en service est prévue au mieux fin 2024 : douze ans de retard, avec un coût multiplié par six (20 milliards). Avec d’autres retards en perspective, car les problèmes de fragilité du cœur du réacteur ne sont toujours pas réglés. Mais Macron presse EDF d’attaquer le chantier pour 2 EPR2 à Penly avant la mise en service de l’EPR de Flamanville. Pourtant, l’EPR2 est loin d’être certifié par l’ASN.
Affaiblissement de l’appareil de production et du savoir-faire industriel
D’autres obstacles se dressent sur la route de l’eldorado vanté par Macron et le lobby nucléaire. Tout d’abord l’affaiblissement de l’appareil de production, la perte de savoir-faire industriel et de formation technique. Depuis le plan Messmer7 (1974), la mondialisation capitaliste et la politique de désindustrialisation du CNPF puis du Medef ont rabaissé la part des emplois industriels de 30 % à 10 %. Ensuite, c’est près de 500 milliards qu’il faudrait trouver pour financer le « grand carénage » EDF, le « revamping » de l’usine Orano-La Hague, la piscine géante de mox usé, les 14 EPR, Cigéo... Quant aux milliards dépensés à fonds perdus sur des projets délirants comme ITER ou les SMR8, ils n’ont d’autre utilité que de faire croire aux gogos que le nucléaire a un avenir. Dans l’immédiat, sur ordre de l’Otan, la dépendance de la filière à l’uranium de retraitement produit en Russie oblige Orano à lancer en urgence un projet d’extension de son usine d’enrichissement du Tricastin.
Comme ses prédécesseurs, Macron socialise les déficits de la filière : étatisation de la branche nucléaire d’EDF, financement via le livret A… Mais son rêve de relance est une imposture : épuisement des réserves exploitables d’uranium vers 2070 et déficit d’eau de refroidissement des centrales.
Une loi scélérate et écocide
La loi « d’accélération du nucléaire » votée le 16 mai 20239 prétend régler les complications techniques du parc nucléaire par la « simplification administrative » : les sites sont dispensés d’autorisation d’urbanisme, le droit d’expropriation et la loi Littoral sont assouplis, les chantiers pourront démarrer avant l’enquête publique et les écologistes, eux, sont lourdement répriméEs… L’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025, repoussé à 2035 par un décret de 2018, est abandonné. Pour « accélérer » encore plus vite, Macron n’a pas renoncé à démanteler l’IRSN10, décision prise le 3 février lors d’un « Conseil de politique nucléaire » mais retirée in extremis de la loi ; elle sera réintroduite plus tard, par d’autres biais.
La révolution énergétique sera anticapitaliste
Les antinucléaires sont criminaliséEs en « éco-terroristes », tandis que se dessinent des revendications écologiques radicales, anticapitalistes. La révolution énergétique que nous voulons repose sur deux fondements :
– exploiter le principal gisement d’énergie, la sobriété/efficacité : l’énergie la moins dangereuse, la moins polluante et la moins chère est celle qu’on ne consomme pas ;
– passer de l’énergie de stock (nucléaire, hydrocarbures) à l’énergie de flux (renouvelables) : baisser les émissions en développant les renouvelables (éolien, solaire, hydroélectricité, géothermie…).
L’expropriation des groupes de l’énergie sans indemnités ni rachat au sein d’un monopole public de l’énergie, dénucléarisé et décarboné, placé sous contrôle total des salariéEs et usagerEs, pour décider en fonction des besoins prioritaires, en préservant la biodiversité est une nécessité. De même qu’une révolution dans l’organisation sociale et économique de l’espace public : agriculture, urbanisme, transports, services publics…
- 1. Royal United Services Institute
- 2. 413 milliards (la loi de programmation militaire 2019-2025 prévoyait 295 milliards.
- 3. Cour des comptes (2016).
- 4. Mélange uranium-plutonium.
- 5. L’Anticapitaliste n° 592.
- 6. Le Figaro (13/3/2011)
- 7. Programme électronucléaire français.
- 8. L’Anticapitaliste la revue n° 133.
- 9. L’Anticapitaliste n° 663.
- 10. Contrôleur technique du nucléaire (L’Anticapitaliste n° 650, n° 651, n° 652, n° 654)