Publié le Lundi 1 février 2016 à 09h11.

Roumanie : eaux troubles et mains sales

Des petits filets discrets dans la presse et un billet salvateur d’une chroniqueuse de la matinale de France Inter, n’auront pas suffi à médiatiser davantage une affaire pourtant particulièrement exemplaire de ce que sont les partenariats public-privé (PPP).

En octobre 2015, deux Français sont mis en examen à Bucarest et inculpés pour trafic d’influence, évasion fiscale, blanchiment d’argent et violation de vie privée... Tous deux sont d’anciens cadres (depuis combien de temps, on ne le sait pas...) de APA Nova, filiale roumaine contrôlée à 73 % par Veolia. Avec d’autres cadres roumains de l’entreprise, ils sont accusés de trafic d’influence auprès des élus de la capitale et d’avoir perçu des dessous de table d’un montant présumé de 1 million d’euros.

Licencier ou augmenter les prix...

Cette corruption n’avait pas pour but d’obtenir simplement le contrat pour notre chère entreprise française, puisque le contrat court jusqu’en 2025… En effet, signé en 2000 pour une durée de 25 années, ce qui mériterait en soi une enquête sur l’attribution du contrat tant la durée est importante, les choses auraient pu en rester là. Mais comme elle ne peut plus le faire en France aussi facilement (là où les usagerEs se mobilisent), Veolia a besoin d’accroître sa marge, parfois très rapidement. Si les consommateurs d’une agglomération n’utilisent pas beaucoup d’eau, comme c’est souvent le cas en Europe (faible croissance démographique et économique), deux méthodes sont possibles : licencier ou augmenter les prix. Et Veolia choisit souvent les deux ! Dans le cas de Bucarest, l’eau est douze fois plus chère aujourd’hui qu’au début des années 2000.

Trois autres personnes inculpées fin septembre illustrent le système : un homme d’affaires, un ancien conseiller du maire général de Bucarest et le trésorier du parti libéral PNL. Le premier aurait été l’homme de paille de Veolia chargé de mettre de l’huile dans les serrures, et les deux autres, démarchés par le premier, permettaient à l’entreprise de disposer d’élus (d’une formation politique), afin d’obtenir des votes favorables lors des conseils municipaux de la capitale...

Et l’affaire fonctionnait bien puisque pas moins de 11 augmentations ont été votées en 15 ans !

Les millions de la corruption

Expert en distribution d’eau courante et en assainissement, Veolia sait aussi redistribuer, puisque selon l’agence de presse roumaine Agerpres, les plus grosses sommes ont été attribuées à des sociétés appartenant à l’homme d’affaires : au total, plus de 55 millions de lei (12,4 millions d’euros). « Après chaque approbation du conseil municipal [...] des majorations de tarifs, des paiements étaient effectués aux sociétés contrôlées par l’inculpé », précisent les enquêteurs. Puis ses sociétés auraient redistribué quelque 117 000 euros à l’ancien trésorier du PNL, qui aurait par ailleurs touché plus de 248 000 euros des filiales de Veolia. Le chiffre d’affaire de l’entreprise a ainsi pu passer de 493 millions de lei (environ 114 millions d’euros) en 2011, à 666 millions de lei (environ 152 millions d’euros ) en 2012.

Par ailleurs, la direction nationale anticorruption, après avoir élargi son enquête, suspecte une importante évasion fiscale. « Une réduction artificielle du bénéfice imposable » et donc « une baisse illégale de la TVA et de l’impôt sur le profit » entre 2011 et 2015 auraient entraîné une baisse illégale de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, pour un préjudice fiscal d’environ 23,5 millions  d’euros pour l’État roumain. Et pour en rajouter au tableau, signalons que d’anciens membres des services de renseignements avaient été embauchés par APA Nova Bucarest afin de surveiller les employés pour les empêcher de divulguer les pratiques illégales commises par l’entreprise

Cette affaire parmi tant d’autres rappellera ici l’affaire Carrignon et les nombreuses affaires où Suez et la Compagnie générale des eaux (aujourd’hui Veolia eau) étaient impliquées dans les années 90. Pour rappel, les trois quarts des députés de l’Assemblée nationale avaient eu en 1993 leur campagne financée par un des marchands d’eau, cela avant les lois sur le financement des campagnes électorales.