Si au temps du « fordisme » triomphant, l’industrie automobile a pu apparaître comme un exemple pour la croissance de l’époque, aujourd’hui ce secteur serait plutôt le laboratoire, à grande échelle, des contre-réformes en cours et à venir dans toute l’économie.
On compte aujourd’hui environ 100 000 salariéEs dans la construction automobile, contre environ 200 000 il y a 20 ans. Ces dix dernières années, l’industrie automobile a connu une chute de 30 % de ses effectifs salariés, alors que dans la même période la totalité de l’industrie manufacturière n’a baissé que d’environ 15 %.
La France est le pays européen, avec l’Italie, où la production de voitures a le plus baissé. Elle est passée de 3 millions de voitures avant la crise de 2008 à 2,2 millions en 2018. Les voitures vendues en France par PSA et Renault sont produites dans le bassin industriel constitué par l’Europe jusqu’à la Russie (non incluse), élargi à la Turquie et au Maroc. Un exemple : la toute dernière Clio n’est fabriquée qu’en Turquie et en Slovénie.
Du business : acheter plutôt que produire
La chute des emplois n’est due ni aux procédés de fabrication – les robots qui tuent le travail humain – ni à la main invisible d’une mondialisation qui détruirait naturellement des emplois. Les facteurs essentiels sont ailleurs.
Les achats d’équipements nécessaires à la fabrication d’un véhicule représentent aujourd’hui plus de trois quarts de la production de la filière. Les firmes comme PSA et Renault ont de plus en plus recours à la chaîne équipementiers – sous-traitants. La concentration du secteur, ces dernières années, et la mise en concurrence par les donneurs d’ordre est la cause de nombreuses suppressions d’emplois et de fermetures de sites. Des menaces particulières pèsent sur les usines mono activité, à l’exemple de Bosch à Rodez, où l’on ne fabrique que des pièces pour les moteurs diesel.
Le recours croissant aux intérimaires est un autre facteur de perte des emplois dénombrés en CDI. Chez Renault, sur les chaînes de montage des usines de Flins ou de Sandouville, les intérimaires peuvent représenter 80 % des effectifs. Du jamais vu jusqu’à présent !
Ces dix dernières années, la chute des effectifs en France a été plus rapide que la chute de la production. On est passé de 16,2 voitures produites par salarié en 2010 à 20 voitures aujourd’hui. Une moyenne qui agrège bureaux d’études et usines, ce qui signifie que l’augmentation de la production par ouvrier dans les usines de fabrication ou de montage a été bien supérieure. D’où l’intensification du travail supportée chaque jour dans les ateliers et les services, avec des techniques de contrôle et de harcèlement de plus en plus sophistiquées.
Des discontinuités dans les capacités de résistance
Le patronat a pu fermer presque toutes les usines qu’il avait décidé. Notamment celles de PSA Aulnay et de Ford Blanquefort. Les résistances qui s’y sont manifestées, et s’y manifestent encore à Ford, sont des exemples dont d’autres luttes s’emparent.
Tout empiètement sur la domination du capital, toute victoire partielle ne peut que favoriser les luttes d’ensemble nécessaires. Mais c’est une illusion de laisser croire que les capitalistes pourraient créer de l’emploi en relançant massivement une production dont l’usage sera de plus en plus limité et ravageur pour le climat.
Plus de bagnoles inutilisables ne créeront pas d’emplois ! Les besoins sociaux à satisfaire en préservant l’environnement sont pourtant nombreux : voilà qui pourrait générer des emplois utiles. Des transports par chemin de fer pour le fret plutôt que l’actuelle prolifération de camions, des moyens pour en finir avec le tout-voiture individuelle ! Entre l’utilité sociale pour la majorité et les profits de quelques uns, il faut choisir.
Jean-Claude Vessillier