Publié le Mercredi 5 août 2015 à 11h28.

De Lisbonne à Paris, l’offensive coordonnée contre les droits du travail

L’offensive contre les réglementations du travail menée à la faveur de la crise par les classes dirigeantes dans l’Union européenne poursuit schématiquement deux objectifs.

Le premier but, le plus visible, est le relèvement immédiat des profits par l’abaissement du prix de la force de travail ou, ce qui revient au même, par l’augmentation du temps de travail à salaire constant. Cet objectif était vital pour les capitalistes des pays du sud de l’Union, les plus touchés par la crise.

Baisser les salaires, augmenter les profits

L’exemple le plus spectaculaire est bien sûr la Grèce, seul pays où le salaire minimum a baissé, passant de 750 à 586 euros bruts (sur 14 mois) en 2012. Mais la même année au Portugal, quatre jours fériés prévus par le code du travail ont été supprimés ou suspendus, tandis que la majoration de salaire prévue pour les heures supplémentaires a été réduite de moitié. Les travailleurEs de l’État espagnol n’ont pas été épargnés, puisque le Real Decreto-ley du 12 février 2012 a autorisé les patrons à diminuer unilatéralement le salaire de leurs employés ! En cas de désaccord ceux-ci doivent démissionner et se contenter d’une indemnité égale au maximum à neuf mois de salaire. Cette mesure a permis d’accentuer la pression à la baisse exercée sur les salaires par le très fort taux de chômage du pays.

Le second objectif est plus profond : il s’agit, pour reprendre l’un des termes de la définition de Lyon-Caen, de réduire les instruments de la lutte ouvrière contre l’exploitation, de modifier les conditions dans lesquelles se déroule la lutte entre le capital et le travail en faveur du premier et d’abaisser sur le long terme les capacités de résistance du second. 

C’est ce que la Commission européenne et le FMI appellent les « réformes de structures » ou « réformes structurelles ». Elles ont été la condition sine qua non de l’octroi des prêts empoisonnés au Portugal et à la Grèce. Mais la Commission pèse également de tout son poids pour que des réformes de ce type soient adoptées dans les économies dominantes de l’Union, bien évidemment en accord avec les patronats de ces États qui craignent de céder des parts de marché aux entreprises qui ont bénéficié des contre-réformes radicales prises par les gouvernements des pays les plus touchés par la crise.

Des (contre-)réformes radicales...

On peut identifier schématiquement trois types de mesures qui servent cet objectif :

– Ôter aux salariéEs leurs quelques possibilités de s’opposer aux licenciements, qu’ils soient individuels ou collectifs. C’est en en ce sens que la loi dite « de sécurisation de l’emploi » de 2013 a supprimé le contrôle des plans sociaux par le juge-civil, qui avait trop souvent la mauvaise idée de les annuler, pour instaurer une pseudo-­homologation par l’administration dont l’objectif avoué est « zéro refus ». En Italie, alors que Berlusconi s’y était cassé les dents, le gouvernement Renzi est venu à bout en 2014, malgré des grèves importantes, de l’article 18 du code du travail, qui prévoyait pour les entreprises de plus de 15 salariéEs la réintégration des travailleurs licenciés « sans juste cause ».

– Limiter voire prohiber la grève. C’est le gouvernement britannique qui est le plus en pointe sur le sujet. Depuis 1984, une grève n’est jugée légale au Royaume-Uni que si elle a été approuvée par une majorité des votantEs lors d’un plébiscite préalable à bulletin secret. Cameron va déposer un projet de loi ajoutant une condition supplémentaire : que 50 % des salariéEs concernés participent au scrutin. La règle serait encore plus durcie pour les services publics (santé, éducation, énergie, transports…) : 40 % des salariéEs concernés devraient approuver l’arrêt de travail pour qu’il soit légal ! Cela revient pratiquement à interdire les grèves qui démarrent en étant minoritaires…

– Diviser les salariéEs, réduire encore un peu plus la conscience de classe et pour cela briser les statuts ou contrats collectifs. Ou plutôt faire en sorte que le contrat collectif qui prime sur tous les autres soit celui signé au niveau de l’entreprise, même et surtout s’il est moins favorable aux travailleurs que la convention de branche... La destruction du « principe de faveur », selon lequel les conventions de branche ne peuvent qu’être plus favorables aux salariéEs que la loi et les accords d’entreprise à leur tour plus favorables que les conventions de branche, a été achevée dans l’État espagnol et en Grèce en 2012. 

« Simplifier » le code du travail ?

En France, c’est tout l’enjeu du débat autour de la « simplification » du code du travail : ses apôtres ne veulent en réalité pas réduire le nombre de règles, mais faire en sorte qu’elles soient élaborées au niveau de l’entreprise pour accroître l’exploitation des secteurs les moins organisés. Le gouvernement Valls-Hollande a nommé une commission qui doit rendre ses conclusions en septembre et se prépare à finir ce que Chirac et Sarkozy ont commencé.

L’offensive coordonnée des classes dominantes n’a été pour l’instant stoppée dans aucun des pays de l’Union européenne malgré les résistances de masse dans l’État espagnol, en Grèce et au Portugal. Mais cela ne sera pas toujours le cas, et la première résistance victorieuse fera tâche d’huile tant les logiques à l’œuvre sont semblables...