À l’échelle du mouvement ouvrier, les institutions représentatives du personnel (IRP) sont relativement récentes...
Il faut attendre le reflux des grèves de 1936 pour les délégués du personnel (DP), la fin de la Libération pour le comité d’entreprise (CE), et pour le délégué syndical, les accords de Grenelle en 1968. Quant au CHSCT, à la section syndicale d’entreprise et aux représentants syndicaux de la fonction publique, ils seront les derniers nés des réformes socialistes (avec les lois Auroux de 1982), avant leur tournant liquidateur. Ainsi le mouvement ouvrier en France a-t-il passé la plus grande partie de son histoire sans aucune IRP, plus encore sans représentation syndicale, dans les entreprises.
Des institutions ouvrières ratées...
Issues de compromis passés après le reflux de luttes dont elles n’étaient pas l’objectif, ce sont des institutions ouvrières ratées, détournées du contrôle ouvrier : défenseurs des salariéEs dans l’entreprise sans droit de regard sur la production, puis conseils ouvriers sans pouvoirs de décision, enfin section syndicales sous la coupe de délégués désignés par les bureaucraties syndicales.
Elles ont au mieux un rôle ambivalent : les DP, dévoués mais démunis et portant trop souvent, notamment dans les TPE-PME, les discours patronaux sur la crise et les sacrifices nécessaires ; les DS, souvent suspendus entre bureaucratie syndicale et pression patronale mais quelquefois formés et soutenus par une fédération ou une union départementale combative et donnant du fil à retordre. Pour le CE, il se réduit le plus souvent à un distributeur d’œuvres sociales, et à une arène parlementaire aux pouvoirs fictifs. De loin en loin, il peut devenir un foyer de résistance aux restructurations, mais joue tout aussi souvent un rôle de neutralisation des luttes, même contre son gré. Seul le CHSCT fait la surprise : les questions de santé ne sont pas dissimulables par un jeu d’écriture, et l’instance possède un droit de regard sur l’exposition aux risques, un pouvoir d’expertise et des capacités d’intervention juridique propres, générant des jurisprudences souvent contraignantes, véritable épine dans le pied des capitalistes.
Reconfiguration sous pression capitaliste
Sans surprise, les capitalistes ont toujours visé à contenir et refouler ces faibles acquis, restreignant le contrôle du CE sur le licenciement économique, ou contestant comme exorbitants les pouvoirs du CHSCT. La reconfiguration s’accélère en 2008 : pour prétendument favoriser leur implantation dans l’entreprise, et en échange d’un pseudo-mandat de représentant de la section syndicale (RSS), les centrales syndicales acceptent que leur représentativité soit centrée sur l’élection des IRP. Le DS en devient de facto le chef, mais pour mieux négocier des accords d’entreprise dérogatoires sous le contrôle bureaucratique des centrales.
En 2015, rebelote : si dans les grands groupes, les états-majors syndicaux et leurs mandats en carton (CCE, CE de Groupe, DS Central...) sont épargnés, dans tous leurs établissements d’exécution, la sous-traitance et les PME, toutes les IRP vont être redessinées. Dans ces entreprises de moins de 300 salariéEs, le CHSCT disparaîtra comme instance autonome, et une seule instance de représentation cumulant toutes les fonctions des IRP deviendra la norme. Plus aucune représentation n’est prévue dans les TPE de 10 à 20 salariéEs. La différence en représentants et en droits syndicaux (moins de représentantEs, moins de crédits d’heures) sera énorme.
Ni nostalgie ni illusions
Le mouvement ouvrier ayant une fois de plus renoncé à défendre ses acquis, il nous faudra, en tant que militantEs, nous adapter au nouvel état du droit, sans nostalgie ni illusions sur ses fonctions réelles, et exploiter chaque faille en comptant sur une ruse de l’histoire, laquelle reste toujours possible malgré le contexte défavorable.
Ainsi, il n’est pas exclu que le représentantE à la délégation unique du personnel, élu au scrutin universel des salariéEs, compétent et outillé sur tous les sujets, puisse devenir un « super DP », cumulant également des fonctions de DS, et tire bénéfice du décloisonnement des instances. Dans le même ordre d’idée, des juges, viscéralement incapables de mettre des chefs d’entreprise en prison, peuvent changer d’attitude face aux sanctions pécuniaires du nouveau délit d’entrave1, ce qui pourrait paradoxalement donner à la menace d’action judiciaire des IRP plus de crédibilité.
Mais, pour être à la hauteur, il faudra que les organisations syndicales entament un important travail de réflexion et de formation auquel nous aurons à prendre toute notre part.
- 1. Que la loi Macron n’a finalement pas dépénalisé. La peine de prison est supprimée, mais celle d’amende est renforcée.