Le travail précaire s’entend usuellement par le fait de ne pas être embauché en contrat à durée indéterminée (CDI)...
Publiée en 2014, une étude du ministère du Travail dresse le tableau de la précarité au travail en France. En 2012, 87 % des salariéEs du secteur privé ont un CDI, 3 % sont intérimaires et 10 % sont en contrat à durée déterminée (CDD). Ces données sous-estiment l’ampleur réelle de la précarité.
Tout d’abord, 90 % des embauches s’effectuent en CDD ou en intérim. Avant de décrocher un CDI, les jeunes et les travailleurEs peu qualifiés, premières victimes de la précarité, devront enchaîner des contrats courts, sans compter les périodes de stages plus ou moins réels. Ainsi près de 3,2 millions de travailleurs sont en contrat précaire aujourd’hui.
Avec leur introduction dans le code du travail dans un contexte de crise économique capitaliste dans les années 70, l’État légalise la précarité au nom de la recherche permanente de flexibilité. En cas de récession, les premières victimes sont ainsi les intérimaires, dont les contrats courts permettent aux patrons de mettre rapidement fin et avec un coût limité aux emplois, sans avoir à financer et à assumer un plan social. La flexibilité n’est pas le seul « avantage » du statut précaire pour le patronat. La division statutaire empêche l’unité dans les luttes, et favorise l’éclatement des collectifs de travail.
Que fait l’État pour lutter contre la précarité ?
Bien que réglementé, le travail temporaire s’accroît depuis 30 ans et peut concerner chacun d’entre nous. Le travail à temps partiel subi expose également à la précarité les salariéEs en CDI (18 % des salariéEs), surtout les femmes et les travailleurs peu qualifiés. La durée de travail réduite associée à des faibles revenus crée des « travailleurEs pauvres » au profit de l’organisation capitaliste du travail.
Depuis une vingtaine d’années, l’État promeut lui-même des politiques publiques à destination des chômeurEs les plus éloignés de l’emploi sous forme de contrats aidés à durée déterminée. Au nom de la lutte contre l’exclusion, l’État institutionnalise la précarité. Et quand l’État est employeur, le recours au travail précaire explose : Radio France, employeur public, use et abuse des CDD et du statut d’intermittent !
La lutte contre les abus de recours au travail précaire n’a jamais été une priorité pour les gouvernements. Et lorsque des infractions sont relevées par procès-verbal, les juges font souvent preuve de grande clémence à l’égard d’entreprises qui agitent le chiffon rouge de la menace sur l’emploi. Les travailleurEs précaires seraient ainsi les grands sacrifiés afin de ne pas aggraver les chiffres du chômage.
Et si la précarité généralisée n’était tout simplement pas un outil permettant aux capitalistes de favoriser l’émergence d’une nouvelle classe de travailleurEs au détriment du salariat ?
Tous précaires demain ?
Les chiffres n’intègrent pas les emplois précaires des non-salariéEs. Parmi les 25,8 millions de personnes qui ont un emploi, 11,6 % sont des travailleurEs indépendants : ils ne perçoivent pas de salaire, mais vendent leur production de biens ou de services à un donneur d’ordre. Or, les inégalités sont extrêmes, aussi bien en matière de précarité que de niveau de vie. Selon une étude de l’observatoire des inégalités, le coiffeur de quartier ou l’aide à domicile indépendant avec un revenu annuel moyen de 14 980 euros, ou le chauffeur de taxi avec 17 130 euros, ne saurait être comparé à un notaire (105 170 euros annuels en moyenne).
Parmi les statuts d’indépendants, celui des auto-entrepreneurEs parait faussement émancipateur. Pour quelques minoritaires qui en tireront profit, les autres restent subordonnés au bon vouloir du donneur d’ordre et gardent des revenus très faibles. Hors contrat de travail, aucune règle du code du travail ne s’applique plus : la rémunération, forfaitaire, ne dépend plus des heures réelles de travail, et aucun droit à indemnité de licenciement ni droit au chômage n’est accordé lorsque la fourniture de travail cesse. Les entreprises raffolent de ce nouveau statut qui leur permettent d’exploiter une main d’œuvre de plus en plus corvéable.
L’application UberPop s’inscrit dans cette évolution, en mettant en relation des clientEs à des conducteurEs particuliers rémunérés exclusivement à la commission, en dehors de tout contrat de travail. Si cette forme de travail est interdite en raison de la concurrence déloyale qu’elle crée, elle risque de se répandre faute d’emploi disponible. Pour autant, il est peu probable que le rêve de Jacques Attali, où toute personne devient son propre patron, hors de l’exploitation inhérente au salariat, se réalise : le salariat restera la norme car l’essentiel de l’exploitation ne peut pas se faire dans un autre cadre.
La sous-traitance généralisée n’en crée pas moins une nouvelle classe de travailleurEs, résignés à vendre leur force de travail en dehors du contrat de travail faute d’emplois disponibles. Elle permet d’externaliser les risques et d’accroître les marges, sous couvert d’autonomie.
Cela nous oblige à militer en faveur d’autres formes de travail, à la fois émancipatrices et égalitaires.