Le droit du travail s’est largement construit autour de la question du temps de travail, au point de rencontre des nécessités économiques et du rapport de forces entre les classes.
Aux origines, les lois vont se concentrer sur la limitation de la durée du travail à destination de populations ciblées, avec les préoccupations morales de patrons influencés par la religion, la nécessité de ménager un temps pour l’instruction scolaire et/ou religieuse...
Préserver la chair à canon, et la chair à patron...
En fait, il s’agissait surtout de ménager les forces humaines, une préoccupation portée par des députés qui s’inquiètent d’une population « décrépie »... alors que la France a besoin de soldats robustes.
La loi de 1841 interdit l’embauche des enfants avant l’âge de 8 ans, et limite le travail effectif de ceux de 8 à 12 ans à 8 heures. Le travail de nuit est interdit aux moins de 13 ans, mais toléré pour les enfants plus âgés dans le cas d’usines à feu continu ou à moteurs hydrauliques... Les enfants de moins de 16 ans ne peuvent travailler les dimanches et jours de fête... dans les grandes entreprises. Faute de volonté des parties, de moyens de contrôle, cette loi ne sera que peu appliquée et il faudra la Commune de Paris pour qu’en 1874, un certain nombre de ces dispositions commencent à être respectées.
En 1906, la loi instaure le repos dominical. C’est en pleine guerre, le 3 juillet 1916, que l’État interdit le travail de nuit des femmes de moins de 18 ans, et limite à 10 heures la journée de travail de celles de 18 à 21 ans.
En 1919, la loi sur les 8 heures est la première loi générale, valable quels que soient le sexe ou l’âge. Encore une fois difficilement mise en œuvre, elle ne sera vraiment dépassée qu’en 1936 avec la semaine de 40 heures. On passe alors de la réduction du temps de travail visant à éviter l’épuisement de la force de travail à la préoccupation de donner du temps pour se détendre et éventuellement se cultiver.
Congés… payés et temps libre !
Parallèlement, en 1936, le gouvernement de Front populaire, sous la pression de la grève générale, créait les congés payés. Fixés à quinze jours à l’origine, leurs minimums obligatoires se sont régulièrement allongés : deux semaines en 1936, trois en 1956, quatre en 1969 et enfin cinq en 1982.
Dans les années 1950 à 1960, alors que la durée légale est de 40 heures, les durées effectives moyennes oscillent entre 45 et 46 heures hebdomadaires... et ce n’est qu’en 1978 que le temps de travail hebdomadaire effectif réel atteindra les 40 heures.
En 1982, le temps de travail hebdomadaire est abaissé à 39 heures, en principe pour aller vers les 35 heures. La politique de rigueur aura rapidement raison de cette promesse.
En fait, il s’agit là de la dernière réduction de temps de travail explicitement fondée sur l’idée du repos, de loisirs, avec la création d’un ministère du temps libre !
Vive la crise !
L’étape suivante, les lois Aubry des années 2000 s’inscriront dans de toutes autres logiques, contradictoires : réduire le temps de travail pour s’attaquer au chômage, tout en préservant la productivité. Ces contradictions vont être largement utilisées par le patronat qui en profitera pour intensifier le travail, souvent avec l’appui des syndicats (ainsi, pour la direction de la CGT, les lois Aubry seront un « point d’appui »...).
Faute de rapport de forces global, les batailles autour du temps de travail effectif seront le plus souvent perdues : habillage, déshabillage, casse-croûte, pauses, temps de route... sont passés à la moulinette, et la réduction du temps de travail réelle sera souvent très limitée. Dans le même temps, la généralisation de l’annualisation du temps de travail et le forfait-jours pour les cadres ouvrent la porte à toutes les dérégulations, plus que jamais à l’œuvre aujourd’hui.
Arrière toute ?
Le détricotage des 35 heures par les gouvernements de droite a consisté en un allongement masqué du temps de travail qui fait que la durée moyenne du temps de travail est de plus de 41 heures. La droite tentera d’effacer la réduction du temps de travail en jouant sur les heures supplémentaires – passage de 130 à 180 heures puis 220 avec leur défiscalisation, un dispositif annulé par le gouvernement Ayrault –, et la possibilité de transformer les contreparties en temps de repos. Dans cette continuité, les gouvernements Hollande-Ayrault-Valls, prétendument pour assurer la sécurité de l’emploi mais plus sûrement la compétitivité des entreprises, multiplient les possibilités d’accords d’entreprises dérogatoires s’appuyant sur la crainte du chômage et les complicités syndicales.
Mais la suppression des 35 heures et des journées de RTT qui leur restent souvent liées, notamment dans les grandes entreprises, reste suspendue aux enjeux économiques (21 milliards d’euros par an d’allègements de charge, des millions de jours de RTT accumulés dans la fonction publique, impact de la suppression des majorations salariales) et à la résistance des salariéEs. La formidable mobilisation des salariéEs du secteur hospitalier (des centaines de millions d’euros dus aux personnels que le plan Hirsch voulait effacer) illustre que, plus que jamais, la question du temps de travail est au centre des enjeux, du rapport de forces entre les classes.