Publié le Dimanche 10 avril 2016 à 22h29.

Les effets de la loi travail... sur le travail

Le projet de loi travail a pour objectif de sécuriser l’exploitation de la force de travail en sélectionnant médicalement les travailleurs, et d’en finir avec le droit à la protection de la santé. Les répercussions sur la santé des salariéEs seront inévitables.

Un récent article scientifique montre que la survenue d’accidents vasculaires cérébraux et dans une moindre mesure d’infarctus est fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire.

La question de la santé au travail et l’activité de ceux, les médecins du travail par exemple, qui constateraient les effets du travail, deviennent particulièrement stratégiques pour l’exploitation de la force de travail. Cela explique l’attention particulière portée à la médecine du travail par les lois Rebsamen et El Khomri, aspect complètement sous-estimé, et qui en est pourtant un enjeu principal. Cette dernière loi aura bien des conséquences...

Saper les bases du suivi individuel et de la visibilité des conséquences du travail sur la santé

Les visites périodiques seront réservées aux salariéEs en difficultés ou à risque, une majorité de salariéEs n’aura plus de surveillance périodique. Cela atteint la nature universelle et le principe de prévention primaire de la médecine du travail. Cette disposition ne permettra plus le repérage pour tous les salariéEs des altérations de la santé, qui précèdent en général les atteintes, afin de les prévenir. Cela a une très grande importance alors que l’organisation du travail malmène nombre de salariéEs, ce qui impliquerait au contraire une surveillance individuelle plus étroite du médecin du travail pour lui permettre également, par la répétition des visites périodiques, de construire une compréhension de ce qui se joue pour les autres salariéEs de l’entreprise et d’alerter collectivement. Cette disposition mettra en péril l’exercice même de la médecine du travail en empêchant un diagnostic pertinent et une action collective de prévention.

Basculer d’une médecine de prévention du point de vue exclusif de la santé du travailleur vers une médecine de sélection de la main-d’œuvre

Il y a au moins deux raisons pratiques pour un employeur de mettre en place une sélection médicale de la main-d’œuvre : à proximité de l’embauche, dans une logique assurantielle de dépistage des vulnérabilités statistiquement pénalisantes ; au cours de l’emploi, pour repérer les salariéEs moins employables et les mettre à l’écart pour pouvoir les remplacer par des salariéEs plus  rentables...

La seule justification légale à la discrimination est une décision médicale, d’où l’urgence de mettre en place une médecine de sélection de la main-d’œuvre. En réservant l’activité médicale du médecin du travail aux salariéEs « à risque » personnel ou professionnel, cela initie la dérive du métier de médecin du travail d’un exercice exclusif de prévention vers une sélection médicale de « l’employabilité » du salariéE. Une dérive accentuée par d’autres dispositions du projet de loi (inaptitude en cas de « risque grave » pour la santé, prévention du « risque d’atteinte à la sécurité des tiers », injonction faite au médecin du travail de donner des indications sur  la capacité du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise).

Les définitions de ce qu’est un « poste à risque » s’entrecroisent et créent une confusion entre ce qui est un risque professionnel, un risque individuel lié à l’âge ou à l’état de santé, un risque personnel induit par le travail, un risque pour le salarié, pour les tiers. Il peut s’agir aussi d’un risque grave pour la santé du salariéE justifiant sa mise à l’écart de l’entreprise.

Ce qui compte ici pour les employeurs est de mettre en avant la notion de « salarié à risque » et de faire oublier la notion de « poste à risque », au moins dans les esprits, pour faire croire que le salariéE serait le « maillon faible » de la prévention, alors qu’en droit, il ne devrait pas exister de poste à risque.

C’est la subtilité perverse du projet que d’enfermer le médecin du travail, étouffé par des tâches étrangères à sa mission, dans une injonction paradoxale : doit-il laisser le salariéE au poste, alors que la prévention est impossible et lui faire courir le risque d’une atteinte physique ou psychique, ou le mettre à l’écart de l’entreprise « pour son bien », au prix de sa santé sociale ?

C’est là qu’intervient la possibilité d’un avis du médecin du travail « que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ». Dès lors que le médecin prononcera la formule magique, le projet prévoit que l’employeur est délié de son obligation de reclassement et peut licencier le salarié pour « motif personnel ».

Rendre difficile pour le salariéE la contestation de l’avis médical

Aujourd’hui le salariéE peut contester une décision du médecin du travail devant l’inspecteur du travail, demain il lui faudra aller aux prud’hommes. L’une des dispositions du projet concerne les modalités pour tout salariéE de contester les propositions du médecin du travail jusqu’alors confiées à l’inspecteur du travail éclairé par l’expertise du médecin du travail. Cela marquait l’engagement de la puissance publique que le droit du salariéE relevait de sa compétence en matière de santé au travail. Dans le projet, la puissance publique se décharge de son devoir sur le tribunal des prud’hommes et d’un médecin expert des tribunaux. La question d’ordre public social est ici gommée et transformée en une question d’ordre contractuel privé. Cela signe l’abandon par l’État de son obligation de protection de la santé des salariéEs.

Alain Carré

 

Pour lutter contre la dégradation de la santé au travail, les propositions du NPA

• Retrait du projet El Khomri

Passé la porte de l’entreprise, le salariéE n’est plus un citoyen, le lien juridique de subordination à son employeur rogne la liberté, l’égalité. Cependant, le code du travail a limité le pouvoir absolu de l’employeur avec des obligations sur les conditions de travail, l’hygiène, la sécurité, la santé. Ces acquis seront supprimés avec la loi travail, il faut donc imposer son retrait !

• Un service public de santé au travail indépendant

La médecine du travail doit devenir un service public, avec des garanties qui permettront de rompre tous les liens de dépendance avec les employeurs, notamment salariale. Toutes les dispositions qui ont réduit les activités et prérogatives des médecins du travail doivent être annulées. Tous les moyens concernant la santé au travail doivent être renforcés (effectifs des médecins, infirmierEs, pouvoir d’investigation dans les entreprises…).

• Droit de veto du CHS-CT, des DP, du CE

Les membres du CHS-CT et les délégués du personnels (DP) doivent alerter l’employeur en cas d’atteinte à la santé physique ou mentale des travailleurs. En situation de danger grave et imminent pour sa santé, le salariéE dispose des droits d’alerte et de retrait. Les restructurations d’entreprises, les suppressions d’emploi affectent la santé. Le comité d’entreprise, ou à défaut les DP, disposent aussi d’un droit d’alerte. Toutes ces dispositions doivent être pleinement utilisées en informant les salariéEs et en s’appuyant dans toute la mesure du possible sur leur mobilisation. Mais ces droits sont totalement insuffisants face aux pouvoirs exorbitants des patrons. C’est pourquoi les institutions représentatives du personnel doivent disposer du veto sur toutes les décisions des patrons qui impactent les salariéEs, en particulier leur santé.

S.B.