Publié le Samedi 20 novembre 2021 à 18h00.

La légitime défense dans le cadre des violences conjugales

Les procès récents, respectivement en juin et en octobre 2021, de Valérie Bacot et Alexandra Richard, remettent en avant la question de la légitime défense dans le cadre de violences conjugales.

Comme Jacqueline Sauvage, et d’autres avant elles, victimes de violences physiques, psychiques et sexuelles conjugales, Valérie Bacot et Alexandra Richard ont, l’une et l’autre, tué leur conjoint, elles ont tué leur tortionnaire.

Une définition très restrictive de la légitime défense

Dans la loi française, l’une des conditions de la légitime défense, est la concomitance entre l’agression et la défense. Poursuivie pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner »1, Adriana Sampaïo, qui avait été condamnée à sept ans de prison en première instance, a été acquittée par la cour d’assises du Val-de-Marne au nom de la légitime défense, en novembre 2020. Mais dans les cas de Valérie Bacot, d’Alexandra Richard ou de Jacqueline Sauvage, cela n’a pas été le cas : la vie de ces femmes n’a pas été considérée comme menacée « dans le même temps » où elles se sont défendues.

N’oublions pas que Jacqueline Sauvage, bien que graciée par le président de la République, avait été condamnée deux fois à 10 ans de prison. Alexandra Richard a été condamnée en appel à 10 ans de prison pour meurtre ; même si des circonstances atténuantes ont été prises en compte, la légitime défense n’a pas été reconnue.

Valérie Bacot a été condamnée à quatre ans de prison dont un an ferme ; coupable d’assassinat, elle encourait la perpétuité. La cour a reconnu qu’elle souffrait du « syndrome de la femme battue » ce qui atténuait sa responsabilité. Ce syndrome est utilisé dans le droit canadien depuis 1990. Pour la première fois, un tribunal prenait alors en compte un avis d’expert attestant de ce syndrome. Il est défini comme un état de stress post-traumatique, un état d’emprise lié à la répétition de violences physiques et psychiques, exercées de façon continue pendant une longue durée. C’est ce syndrome qui a été reconnu chez Valérie Bacot.

Ces procès font débat

La médiatisation de ces procès, leur mise en lumière grâce aux comités de soutien, aux organisations féministes… apportent le débat dans le domaine public. Les procès de ces femmes, qui doivent être avant tout considérées comme des victimes, posent des questions auxquelles la société française devra répondre. Les juges appliquent les textes de loi. C’est bel et bien le Parlement qui doit prendre en charge ces questions et modifier la loi. Valérie Bacot a été auditionnée le 4 novembre dernier par la Délégation des femmes du Sénat. Un groupe de parlementaires a déposé une proposition de loi en septembre 2019 visant « à instaurer une présomption de légitime défense pour violences conjugales ».

Mais on ne peut attendre les modifications de la loi pour agir. Quand on arrive à de tels actes, ne plus voir d’autre solution que la mort, celle de son conjoint ou la sienne, c’est un échec de notre société à protéger les victimes.

Introduire une « légitime défense décalée » ?

La légitime défense, telle qu’elle est définie aujourd’hui dans le droit français, ne semble pas pouvoir prendre en compte ces femmes qui, après des années de souffrances, se retournent contre leur agresseur.

Il est suggéré l’introduction dans le droit français d’une nouvelle catégorie de légitime défense : la légitime défense décalée. Il s’agirait d’excuser légalement, et donc de ne pas sanctionner – la légitime défense est dans le code pénal une des « causes d’irresponsabilité » – la personne qui en tue une autre parce que, avant, elle a été elle-même agressée, ou parce qu’elle craint de l’être de nouveau à l’avenir. Le critère de concomitance avec une agression subie serait donc supprimé.

Une telle évolution de la loi entraîne de nombreuses questions légitimes ; qu’elle puisse permettre de protéger des individus ayant eu recours à la violence de manière délibérée, par exemple.

Ce qui est sûr, c’est que cette double peine pour les femmes victimes de violences conjugales qui s’en prennent à leur agresseur participe pleinement du maintien du système de domination et des violences qui vont avec. Quelles qu’en soient les modalités juridiques, cette situation est insupportable et ne doit plus durer.

La prévention absolument nécessaire

Un rapport de l’Inspection générale de la justice a révélé d’importantes failles dans la prévention des homicides conjugaux. Et, plus largement, dans les violences conjugales avant qu’elles n’arrivent aux décès.

On sait qu’il reste toujours difficile pour les femmes de déposer plainte contre leurs agresseurs. Les raisons en sont multiples :

– un manque d’analyse de l’historique des violences, des mécanismes de l’emprise,

– une écoute encore inadaptée dans la très grande majorité des commissariats,

– un manque de réelle mise à l’écart des agresseurs (trois des hommes qui ont tué leur compagne en 2020 étaient visés par une interdiction d’approcher leur victime),

– un manque d’indépendance financière des femmes, et les réformes du chômage et des retraites nous en éloignent encore).

La liste n’est pas ici exhaustive de tous les chantiers à mettre en route ou à poursuivre pour que plus aucune femme n’arrive à l’extrémité de tuer son conjoint pour sauver sa vie et souvent celles de ses enfants2.

  • 1. Trois qualifications sont possibles : meurtre (donner la mort volontairement), assassinat (meurtre avec préméditation) et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
  • 2. Chiffres 2020 du ministère de l’Intérieur : 14 enfants sont morts en 2020 dans le cadre des morts violentes au sein du couple.