«Le terrorisme, qui vient de faire à Casablanca de nouvelles victimes, s’est brusquement étendu la nuit dernière à une Algérie qui ne paraissait jusque-là menacée dans l’Est constantinois que par des incursions accidentelles de fellagas tunisiens. » Le Monde, 2 novembre 1954.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, quelques centaines de nationalistes lançaient une série d’attentats en Algérie. Avec des effectifs et des moyens limités, étant surtout implantés en Kabylie et dans les Aurès.
Gouvernement sourd aux avertissements
Au matin de cette « Toussaint rouge », le FLN (Front de libération nationale) apparaissait pour la première fois en diffusant une proclamation ambitieuse au regard de ses forces : son objectif n’était rien moins que l’« indépendance nationale ». Il est devenu habituel de parler d’un « coup de tonnerre dans un ciel serein ».
Les attentats surprirent d’autant plus qu’à l’époque, en France, c’étaient le Maroc et la Tunisie qui focalisaient l’attention. En comparaison, l’Algérie semblait jouir d’un « calme exceptionnel ». Les services de renseignement, pourtant, avaient alerté le gouvernement de Pierre Mendès France. Jean Vaujour, directeur de la Sûreté, dit avoir acquis avant la Toussaint la conviction que l’Algérie française était en péril et qu’il fallait se préparer à répliquer. En Algérie, dit-il, il avait limité la diffusion de ses informations afin d’éviter un mouvement de panique générale parmi les préfets tenus au courant. En France, le gouvernement serait resté sourd aux avertissements, en raison d’informations contradictoires et de l’éloignement du terrain local. L’idée qu’un mouvement « séparatiste » puisse surgir rencontrait tout simplement l’incrédulité.
Un bilan très largement supérieur aux 1 165 morts officiels
L’étonnement était moindre dans les milieux critiques de la colonisation, comme chez les communistes. S’ils ne savaient pas plus que les autres qu’une insurrection se préparait, ils s’étaient montrés suffisamment attentifs aux revendications anticoloniales pour être conscients de leur poids et du risque d’« explosion ».
Après le 1er novembre 1954, l’Humanité rappelait les événements du printemps 1945, dans le Constantinois. Le 8 mai, jour de la capitulation nazie, des défilés avaient fêté la victoire alliée. Célébrant la liberté, les manifestantEs algérienNEs se l’étaient réappropriée. Non seulement ils se saisissaient du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais ils appelaient à la libération de Messali Hadj, qui avait passé toute la guerre emprisonné ou assigné à résidence. La police intervenant contre les drapeaux algériens qu’ils arboraient, ces cortèges furent durement réprimés. Il s’ensuivit, dans une partie du Constantinois, autour de Sétif en particulier, une insurrection paysanne qui fit une centaine de morts. La répression prit des proportions démesurées. À l’armée qui se livra à des exécutions sommaires en masse, s’ajouta, à Guelma, une milice européenne qui liquida des centaines d’hommes connus pour leurs engagements nationalistes.
Comme toujours dans ce cas, le bilan reste difficile à établir mais il est sûrement très largement supérieur aux 1 165 morts officiels. On prête au général Duval, commandant de la division de Constantine qui avait conduit la répression, cette phrase prophétique : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. » Ces massacres et l’ensemble de la répression, arrestations en masse, interrogatoires et sévices, détentions prolongées en prison, condamnations, y compris à la peine capitale, suivies d’exécutions, avaient radicalisé les rangs nationalistes, en particulier les jeunes nouvellement engagés.
Impasse de la voie légale
Les blocages de la voie légale avaient aussi renforcé la conviction des nationalistes qu’il faudrait prendre les armes pour se faire entendre. En 1947, en effet, un nouveau statut de l’Algérie avait été élaboré consacrant l’existence de deux collèges d’électeurs : le premier pour les citoyens de plein droit, c’est-à-dire les Français et une petite minorité de « Français musulmans » jouissant d’une pleine citoyenneté ; le second pour tous les autres « Français musulmans ». Suivant les scrutins, soit chaque collège élisait le même nombre de représentants, soit le second en élisait moins que le premier. La discrimination touchait en outre les femmes : le droit de vote des « musulmanes » était reporté à une hypothétique décision de l’Assemblée algérienne créée par le statut. Or, en dépit des conditions inéquitables de la représentation des Algériens, les scrutins postérieurs furent truqués, afin de limiter l’élection de nationalistes. Le parti nationaliste alors existant, le PPA (Parti du peuple algérien), présentait des candidats sous couvert de sa vitrine légale, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).
Branche armée
Dans ce contexte, le PPA-MTLD avait décidé de se doter d’une branche armée : l’OS (Organisation spéciale). Mise sur pied fin 1948, elle manquait d’armes et de fonds, raison pour laquelle elle s’était attaquée à la Poste d’Oran, emportant plus de 3 millions de francs. La police française l’avait cependant rapidement démantelée et avait procédé à 363 arrestations, suivies d’une vague de procès en 1951-1952. Messali Hadj, leader du PPA avait été expulsé d’Algérie vers la France cette année-là.
L’importance de l’OS réside finalement moins dans ses actions, limitées, que dans sa seule existence. Outre qu’elle avait cautionné le recours à la violence politique, elle avait concrètement préparé des militantEs à s’y adonner.