La Seconde Guerre mondiale constitua une période particulièrement difficile pour les trotskistes, tant d’un point organisationnel que stratégique.
L’entrée dans la Seconde Guerre mondiale amena un nouveau durcissement de la répression qui frappait les trotskistes. Dans les pays impérialistes, ils furent mis au ban dès le début de la guerre : les organisations communistes furent interdites en France en septembre 1939, tandis qu’en 1941 la justice américaine envoyait la direction du SWP (Socialist Workers Party) trotskiste en prison. La répression de la bourgeoisie n’était toutefois rien à côté de celle que Staline mettait alors en place.
La persécution
L’action des militants trotskistes face à l’occupation des puissances de l’Axe fut d’autant plus difficile qu’il leur fallait affronter la grande persécution stalinienne. Staline ordonna aux partis communistes d’éliminer physiquement les trotskistes, ce qui fut par exemple le cas en Yougoslavie, en Grèce ou au Vietnam, où ils et elles furent liquidés par les organisations communistes de résistance. Dans le même temps, les dirigeantEs trotskistes étaient pourchassés dans le monde entier par les tueurs du NKVD stalinien : Trotsky, assassiné en août 1940, ne fut que l’une de leurs nombreuses victimes, parmi lesquels il faut aussi placer Walter Held, dirigeant de la section allemande, enlevé par le NKVD, puis torturé par Beria en personne avant d’être liquidé.
Isolés, les trotskistes durent payer au prix fort leur engagement dans la Résistance. En Allemagne ou en Italie, leurs sections furent totalement anéanties par la terreur fasciste. Dans les pays occupés par les nazis, elles perdirent la majorité de leurs militantEs, comme ce fut le cas en Chine, mais aussi en France où la police allemande parvint à arrêter la quasi-totalité de la direction du POI (Parti ouvrier internationaliste), après avoir démantelé les cellules révolutionnaires que ses militantEs étaient parvenus à créer au sein de l’armée allemande.
Malgré leurs efforts, les militantEs de la IVe Internationale eurent beaucoup de peine à maintenir leurs liens, et son secrétariat international établi à New York perdit le contact avec beaucoup de sections. Dans des conditions particulièrement difficiles, les trotskistes parvinrent toutefois à faire face, arrivant par exemple à tenir une réunion des sections européennes en février 1944 à Beauvais, ou encore à réorganiser les groupes trotskistes français, en les faisant fusionner en mars 1944 dans le PCI.
Penser la guerre
Les trotskistes durent aussi affronter les redoutables questions stratégiques que leur posait la guerre. Reprenant la grille de lecture des socialistes révolutionnaires pendant la Première Guerre mondiale, ils considéraient la guerre comme le fruit des contradictions impérialistes, ce qui les amenait à espérer qu’elle ouvrirait une nouvelle phase révolutionnaire. Afin de préparer l’insurrection, les trotskistes — et ce fut sans doute leur plus grande différence avec les staliniens — considéraient que la bourgeoisie impérialiste française, anglaise ou états-unienne constituait davantage un ennemi à abattre qu’un allié potentiel contre le fascisme. Dans le « Manifeste d’alarme » qu’il avait rédigé pour la IVe Internationale en mai 1940, Trotsky avait ainsi mis en avant le mot d’ordre : « Pas d’alliance avec les démocraties qui sont des asservisseurs des peuples coloniaux ».
Le refus des fronts nationaux avec la bourgeoisie n’empêchait pas Trotsky de différencier démocraties impérialistes et régimes fascistes. Trotsky l’avait affirmé dès 1937, lors du contre-procès organisé par la commission Dewey, en déclarant : « en Allemagne et au Japon, j’emploierais les méthodes militaires pour endommager la machine de guerre et la désorganiser ; en France, il s’agit de faire une opposition politique contre la bourgeoisie et la préparation de la révolution prolétarienne ». Les victoires allemandes amenèrent Trotsky à développer ce point, et il expliquait, le 30 juin 1940, qu’avec la victoire allemande « la France est une nation opprimée », avant de rappeler que « de toutes les formes de dictature, la dictature totalitaire d’un conquérant étranger est la plus intolérable ». Si les trotskistes refusaient de reprendre les mots d’ordre chauvins que les staliniens mettaient en avant, ils n’en étaient pas moins sensibles aux questions d’oppression nationale, ce qui amena Marcel Hic à définir en 1941 le gaullisme des masses comme « quelque chose d’essentiellement sain ».
Soutenir ou non l’URSS ?
Enfin, la question de l’URSS conduisit beaucoup de marxistes révolutionnaires à s’interroger sur la pertinence du mot d’ordre de « défense de l’Union soviétique » que défendait Trotsky. Alors que Staline s’était allié avec Hitler, beaucoup de militantEs commençaient à douter du caractère progressiste de l’URSS, ce qui amena en 1940 Max Shachtman à rompre avec Trotsky, provoquant une scission majeure au sein du SWP américain. Trotsky conserva jusqu’à sa mort ses positions, en considérant que la dégénérescence de la bureaucratie stalinienne ne changeait rien à l’importance historique pour l’humanité de l’existence d’une aire de socialisation de la propriété, que les révolutionnaires devaient défendre afin de ne pas ouvrir une nouvelle ère de barbarie.
Ces difficultés stratégiques amenèrent certains groupes trotskistes à prendre des orientations un peu différentes, d’autant que les cadres de discussion commune avaient disparu ou s’étaient étiolés. Dans la pratique, ils parvinrent cependant à mener une ligne d’action commune. Celle-ci s’attachait à construire une résistance antifasciste de classe, en dehors de tout cadre de front national avec la bourgeoisie, afin de mieux préparer la révolution socialiste et le renversement de la bourgeoisie impérialiste. Ils payèrent au prix fort leur engagement, puisque aucun courant n’a perdu dans la guerre autant de ses militants. L’histoire ne leur a toutefois pas rendu justice, dans la mesure où les staliniens ont longtemps réussi à noircir leur mémoire, en prétendant que les « hitléro-trotskistes » avaient refusé de se joindre à la Résistance, développant un discours dont les traces sont loin d’avoir aujourd’hui disparus.
Laurent Ripart