Publié le Jeudi 25 juillet 2024 à 11h01.

Tous résistants ?

Dans son discours du 25 août 1944 à l’Hôtel de ville de Paris, de Gaulle impose le récit d’une nation restée unie face à l’occupant. C’est la naissance d’un mythe, le résistancialisme, qualifié ainsi par l’historien Henri Rousso en 1987. La majorité des Français auraient résisté, tandis que les collaborateurs n’auraient été qu’une poignée de traîtres et Vichy un gouvernement minoritaire et illégitime.

La mémoire officielle impose alors la glorification des héros, tandis qu’elle observe un grand silence pour les « vaincus », notamment autour des mémoires juives. La spécificité de la Shoah est alors étouffée dans le souvenir global de la déportation. L’écriture de cette Histoire officielle est mise en place dès octobre 1944 puis en 1945 avec deux comités d’histoire qui seront fusionnés en 1951 en un Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, rattaché à la direction du gouvernement, la présidence du Conseil.

La construction d’une mémoire officielle

Cette mémoire collective répond aux désirs des deux groupes qui revendiquent la victoire, les gaullistes et les communistes, moyennant par ailleurs des reconnaissances spécifiques. Le PCF obtient son statut de « parti des 75 000 fusillés » en construisant sa propre histoire de la ­résistance intérieure. 

Le résistancialisme censure. En 1956, la séquence du film Nuit et Brouillard qui montre un gendarme français en faction devant le camp d’internement de Pithiviers, est masquée au montage. Ce consensus résistancialiste est renforcé par le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 et atteint son point d’orgue lors de la panthéonisation de Jean Moulin en 1964. 

Il trouve son expression dans l’Histoire de Vichy de Robert Aron (1954), qui ­restera jusqu’aux années 1960 un ouvrage de référence sur la collaboration. Il y défend la thèse « du bouclier et de l’épée », qui porte l’idée que de Gaulle et Pétain auraient campé deux stratégies pour défendre ensemble la nation mais dans des registres différents.

Une difficile remise en cause

Sur le plan scientifique, le mythe s’effondre progressivement. Mai 68 remet en question le consensus politique autour du gaullisme. La thèse « du glaive et du bouclier » s’effondre avec la publication en 1973 de La France de Vichy de l’historien américain Robert Paxton, qui présente pour la première fois la Résistance comme un phénomène minoritaire. C’est un choc car Paxton démontre que c’est bien le régime de Vichy qui est à l’initiative des déportations de 76 000 juifs français, qu’il a adopté des lois antisémites sans que les Allemands ne le demandent explicitement. Il rappelle le soutien massif des Français à Pétain jusqu’aux derniers jours du conflit.

L’État va être plus lent à évoluer. La thèse gaulliste du résistancialisme demeure longtemps le dogme en vigueur au sommet de l’État. Le procès Papon n’a d’ailleurs lieu qu’en 1997. Aussi, pour Mitterrand, Vichy n’est pas la France. Au contraire, Chirac, qui n’est pas de la même génération, reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs, dans son discours du 16 juillet 1995 lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv. Cependant avec l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, il y a de nouveau la volonté de clore les polémiques autour des ­responsabilités de la France. Ce refus de la « repentance » s’accompagne du désir de réhabiliter les héros et d’instrumentaliser de nouveau l’histoire via l’école, notamment par l’exploitation politique de la figure de Guy Môquet. Même si Hollande et Macron ont eux aussi reconnu la responsabilité de la France dans le génocide des juifs, le mythe du résistancialisme reste donc encore vivace !

Sandra Cormier