Publié le Mercredi 27 septembre 2023 à 09h28.

Un déluge de solidarité

L’idée d’une marche nationale sur Besançon, les grévistes l’ont eue après qu’une délégation de 200 Lip a participé au rassemblement du Larzac au mois d’août.

 

Elle a été décidée démocratiquement, comme toujours, en assemblée générale des travailleuses et des travailleurs, et son organisation prise en charge par les Lip elles et eux-mêmes1.

Une manifestation contre la volonté des directions syndicales

Il a fallu affronter l’hostilité du maire socialiste de la ville, Jean Minjoz, persuadé qu’affrontements et dégradations seraient au menu de la marche : « Des tracts appelant à participer à la marche sont distribués à la porte des lycées parisiens en supplément au journal Rouge. Qui peut dire, alors, qu’il n’y aura pas d’incident grave ? » Sa principale crainte est en fait la reprise « militaire » de l’usine Lip de Palente, occupée par les CRS depuis le 14 août. La concession des grévistes ? Le parcours évitera l’usine le jour dit.

Il a fallu batailler avec les directions nationales de la CGT et de la CFDT pour arrêter les contours comme l’ordonnancement de l’événement. Non sans mal. La CGT voulait d’un rassemblement régional, strictement réservé aux délégations syndicales et excluant toute présence « gauchiste ».

La CFDT s’agace d’être mise devant le fait accompli par sa remuante section Lip, animée par des militantEs autogestionnaires. Elle craint par ailleurs l’influence du Comité d’action, une structure de base qu’elle juge maximaliste. Sans doute aussi la convergence d’une gauche ouvrière et syndicale qu’elle a certes attirée dans ses rangs depuis 1968, mais qui exprime son autonomie et sa radicalité de plus en plus bruyamment — un peu trop aux oreilles de son secrétaire général Edmond Maire2.

Mais le dernier mot reste à l’AG des Lip qui réaffirme le caractère national de la marche et autorise officiellement trois organisations politiques à s’y insérer : le PSU, Rouge (le prête-nom de la Ligue communiste, dissoute en juin) et Révolution !

Surtout, sur le terrain de Châteaufarine, lieu d’accueil des manifestantEs dès le vendredi soir, tous les stands sont les bienvenus, y compris ceux de l’extrême gauche : en signe de protestation la CGT quitte le sien.

Rendez-vous des luttes et solidarités

L’organisation est colossale, 17 commissions sont créées par les Lip pour y faire face. Des délégations des ­grévistes de Pechiney, du Joint Français, des ouvrières de PIL-Cerisay, des travailleurs immigrés de Pennaroya sont présentes. Italiennes, suisses, allemandes également. On retrouve encore les Paysans-Travailleurs, les Comités Chili, le Comité contre la circulaire Fontanet… tout un monde de lutte et de solidarité qui ne demande qu’à se rencontrer.

La pluie empêchera les débats prévus le samedi matin entravant malheureusement l’objectif de coordination que s’étaient fixé les Lip.

Autre point noir, la campagne de peur orchestrée par voie de presse et d’affiches fait qu’une bonne partie des BisontinEs reste à la maison, volets ­fermés.

Malgré tout, de tout l’hexagone, des cars, des trains spéciaux sont affrétés. Un rassemblement est prévu à Vincennes, « pour ceux [et celles] qui partent en moto ». Des gardes d’enfants sont organisées à Paris. Des sections syndicales annoncent débrayer dès le 28 pour organiser la marche. Les colonnes de Politique Hebdo et du jeune quotidien Libération s’ouvrent aux lieux et horaires de rendez-vous.

Avec les Lip en tête, suiviEs des directions syndicales, la marche réunit des dizaines de milliers de syndicalistes venuEs de nombreux départements, pas seulement limitrophes. La présence de l’extrême gauche détonne : parmi les « 100 000 de Besançon », elle rassemble près d’un tiers du cortège toutes obédiences confondues.

La marche est un indéniable succès et confirme l’existence d’un vrai soutien populaire aux Lip, dont la lutte a réussi à passer le cap de l’été. Pour Charles Piaget, syndicaliste CFDT de Lip et militant PSU, l’essentiel était que ce 29 septembre soit « la fête de l’imagination dans les luttes, la fête de tout ce qui a été un peu Lip et se continue dans les entreprises »3. Pari tenu.

  • 1. « 1973, Lip ou la démocratie », l’Anticapitaliste la revue, n° 146, mai 2023.
  • 2. « 1973, les comités de grève et l’autogestion des luttes », sur Contretemps.eu, le 25 février 2023.
  • 3. Entretien avec Charles Piaget, le Monde du 18 septembre 1973.